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tible avec l’existence du gouvernement républicain. L’on décapitait l’armée de son état-major au lendemain même de la journée du 16 avril[1], où l’épée de l’un de ses généraux venait de concourir si efficacement à sauver le gouvernement provisoire des entreprises de la démagogie. La classe nombreuse qui avait confié ses épargnes à l’état recevait en échange, malgré la teneur d’un contrat sacré, des rentes au cours du jour, perdant ainsi plus de 40 pour 100 sur son capital[2]. Enfin, si les financiers de la république commettaient la faute irréparable, au point de vue des intérêts du trésor, de prononcer, à la veille de la réunion de la représentation nationale, la suppression de l’impôt des boissons et de promettre celle de l’impôt du sel, ils perdaient le bénéfice de ces déplorables concessions en frappant de l’impôt, d’ailleurs fort rationnel, des 45 centimes cette population rurale déjà ruinée par l’avilissement de tous les prix, et dont les antipathies contre la république se trouvaient ainsi légitimées par ses propres souffrances.

Tous les gouvernemens doivent aux conjonctures fugitives qui président à leur formation une heure de faveur que la suite des temps ne ramène plus. Les élections du 24 avril marquèrent ce moment-là pour la seconde république française, et la constituante fut sa chambre introuvable. Malheureusement pour la république, l’assemblée qui venait donner à ce pouvoir une adhésion si précieuse était antipathique à la masse du parti républicain, et représentait une idée que celui-ci ne comprenait même pas. Fonder le régime nouveau sur l’accord de toutes les forces morales et de toutes les influences légitimes, une pareille perspective était beaucoup plus odieuse encore que le régime de 1830 aux orateurs de clubs et aux anciens détenus politiques, qui constituaient alors en France l’armée de la république. Il ne demeurait en dehors de celle-ci que quelques hommes isolés, qui comprenaient assez bien l’avantage des transactions depuis qu’ils s’étaient emparés, comme par droit de conquête, de toutes les fonctions publiques. Ces hommes-là écrivaient bien, ne parlaient pas mal, mais ne pouvaient, nonobstant leurs efforts, ni croître ni multiplier.

Malgré le sacrifice qu’elle n’hésitait point à faire de ses affections à ses devoirs, la constituante allait donc rencontrer ses principales, pour ne pas dire ses seules difficultés dans le sein de l’opinion républicaine, que sa mission était pourtant d’élever au gouvernement de la société. Jamais assemblée ne se vit en effet plus près de disparaître sous les coups des fanatiques dont elle venait d’encenser

  1. Décret abolissant la loi du 4 avril 1839, et mettant à la retraite soixante-quinze officiers-généraux.
  2. Décret du gouvernement provisoire du 29 mars.