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l’idole. Au 15 mai, elle ne triompha de la conspiration des clubs que par le dévouement de quelques bataillons de gardes nationaux, qui reçurent de leur patriotisme la mission que la commission exécutive éperdue se montrait incapable de leur donner. Pour demeurer maîtresse d’un terrain qui se dérobait sous ses pas, l’assemblée constituants fut conduite au 24 juin à livrer bataille à quatre-vingt mille malheureux à qui les journées de février avaient ôté leur pain quotidien, et que l’Hôtel de Ville avait estimé politique de nourrir au Champ-de-Mars, afin de n’avoir pas à les combattre à la place de Grève : lutte lamentable que rendait plus douloureuse encore l’exaspération trop naturelle d’hommes trompés par la proclamation du droit au nom duquel ils réclamaient avec une fureur aveugle, mais sincère, l’accomplissement d’un contrat sanctionné par un décret trop mémorable !

La constituante était placée sous le coup d’une extrémité redoutable, mais nécessaire. Cette assemblée ne revêtit en effet le caractère d’un véritable pouvoir politique qu’à partir du jour où, au bruit de la canonnade, elle eut décidé la dissolution immédiate des ateliers nationaux, vendant courageusement le champ où campait encore Annibal[1]. Après qu’une bataille de trois, jours eut décidé la question posée entre la civilisation et la barbarie, l’assemblée put enfin commencer cette carrière agitée qu’on pourrait diviser en deux parties. Durant la première, elle travailla, sous la protection de l’état de siège, à constituer la république; la seconde fut consacrée, sous l’émotion produite par le vote du 10 décembre, à lutter contre toutes les conséquences du principe électoral qu’elle avait proclamé et de la constitution qu’elle avait faite.


II.

Afin de se rendre compte de l’indifférence avec laquelle les populations suivirent les débats de leurs représentans sur les lois fondamentales du gouvernement nouveau, et pour comprendre dans sa portée véritable la réponse que fit le pays à la république, venant lui demander bientôt après son premier chef électif, il faut se reporter à ces jours d’épouvante où les maux du présent semblaient décuplés par les appréhensions de l’avenir. Quel effet ne devaient pas avoir sur les populations rurales, atteintes depuis plusieurs mois aux sources de leur existence, ces scènes de carnage qui leur apparaissaient comme les conséquences de la révolution consommée ! Y a-t-il à s’étonner de l’effroi qui saisissait les âmes lorsqu’au 15 mai un échappé de Charenton jetait aux échos d’un chœur infernal la proposition

  1. Discussion sur le rapport de M. de Falloux, (21 juin 1848).