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l’avenir de l’Europe appartient à la démocratie, et celle-ci a trouvé dans le Code Napoléon l’expression la plus vraie de ses besoins en matière civile, dans la constitution de l’an VIII la condition la plus naturelle de son développement normal. Le triomphe de la démocratie ne consiste en effet ni à exercer, ni à partager, ni même à surveiller l’autorité, mais à en déléguer l’exercice à un pouvoir sorti de son sein et constitué par son souverain suffrage. Une dictature populaire commise à une puissance fortement centralisée, servie par des instrumens sans autre force morale que celle qu’ils en reçoivent et placés vis-à-vis du chef de l’état dans une dépendance absolue[1], telle était la forme de gouvernement que l’on prétendait opposer dès 1840 au mécanisme complexe et à la stérilité loquace des monarchies constitutionnelles. Dans cette doctrine-là, le peuple joue le rôle du dieu qui, après avoir donné une chiquenaude au monde, afin de le mettre en mouvement, rentre dans son éternel repos. La politique étrangère n’y diffère pas moins que la politique intérieure de celle que professait alors la majorité parlementaire. Se plaçant en effet en dehors des questions traditionnelles, des questions d’alliances et même de frontières naturelles, elle s’appuyait sur le droit supérieur des nationalités, droit imprescriptible qui inspirait dès sa jeunesse au publiciste impérial une foi tellement profonde que, réagissant jusque sur le passé, il n’hésitait pas à attribuer à Napoléon Ier un projet universel de restauration des autonomies et des nationalités confisquées par lui-même, projet dont l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, la Hollande et la Pologne n’auraient pas tardé à profiter, si les libérales intentions de l’empereur n’avaient été méconnues et contrariées par l’obstination des gouvernemens et des peuples à lui résister[2].

Qu’on se figure les chefs de la majorité placés en présence d’une théorie qui prétendait dénier constitutionnellement toute influence aux ministres, et qui déjà pouvait laisser entrevoir, comme dernier terme de l’expédition romaine, un appel à la nationalité italienne interrogée par le suffrage universel; qu’on se représente deux pouvoirs exprimant avec une égale sincérité deux idées aussi incompatibles, et l’on comprendra que, si périlleuse qu’elle pût sembler pour l’un et pour l’autre, une crise était devenue inévitable. Il n’y

  1. « Dans un gouvernement dont la base est démocratique, le chef seul a la puissance gouvernementale; la force morale ne dérive que de lui; tout remonte directement jusqu’à lui, soit haine, soit amour. Dans une telle société, la centralisation doit être plus forte que dans toute autre, car les représentans du pouvoir n’ont de prestige que celui que le pouvoir leur prête, et, pour qu’ils conservent ce prestige, il faut qu’ils disposent d’une grande autorité, sans cesser d’être vis-à-vis du chef dans une dépendance absolue, afin que la surveillance la plus active puisse s’exercer sur eux. » L’Idée napoléonienne, Œuvres de Napoléon III, t. Ier, p. 56.
  2. Œuvres de Napoléon III, t. Ier, p. 150 et suiv.