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n’ayant bientôt plus pour se défendre que l’enceinte même de la place, dans laquelle il manquait une garnison. Blocus, assaut ou surprise nocturne, le dénoûment était donc certain, et, comme celui de tous les sièges qui ont duré longtemps, il avait été plus chanceux à préparer qu’il ne fut périlleux à accomplir.

Gardons-nous toutefois d’emporter de ce spectacle une impression de nature à ébranler notre foi dans l’avenir assuré à la cause de la liberté politique, sous quelque forme qu’elle doive s’établir définitivement parmi nous. En France, les idées ont depuis quinze ans moins changé que les situations, et nous avons fait moins de chemin que nous n’avons semblé en parcourir. Si les révolutions auxquelles nous avons assisté ont affaibli chez plusieurs leurs anciennes croyances, elles n’en ont pas suscité de nouvelles, et ceux que nous nommons des renégats ne sont guère que des sceptiques. Or le scepticisme, qui peut corrompre l’opinion, n’a pas la puissance de la contenir, et celle-ci a d’ordinaire parmi nous de rapides et souverains retours.

Ce n’est pas devant ce qui se passe depuis Vienne jusqu’à Pétersbourg qu’il est aujourd’hui possible de douter du triomphe prochain de ces doctrines constitutionnelles, devenues le patrimoine et comme le droit public de tous les peuples civilisés. S’imaginer qu’en matière de garanties, de publicité, de responsabilité, et, pour tout dire en un seul mot, qu’en matière de gouvernement représentatif la France demeurera longtemps en arrière de l’Europe, c’est faire injure à la fois et à la grande nation qui s’entr’ouvrit les veines pour nourrir l’univers de sa substance et de son sang, et au pouvoir auquel des événemens prodigieux ont commis le soin de ses destinées. Les actes du 24 novembre 1860 et du 17 novembre 1861 sont déjà là pour établir qu’il comprend ce que réclament l’intérêt de son avenir et le soin de notre propre honneur. Si les dynasties royales peuvent changer, les dynasties d’idées sont immortelles. On ne les exile pas par décret, et nulle main n’est assez forte pour maintenir chez nous une barrière entre un principe et ses conséquences. La plus impossible des entreprises serait de proclamer les idées de 89 en méconnaissant leur filiation légitime, et la plus périlleuse des illusions serait de croire la France disposée à ne pas profiter pour son propre compte des vérités semées par elle, lorsqu’elle en voit fructifier partout la moisson. Toujours logiques quant à leur développement final, les grandes révolutions sont parfois arrêtées dans leur mouvement d’expansion par des épisodes accidentels, auxquels il n’est pas donné de détourner le cours des idées elles-mêmes. Les combinaisons excentriques sorties du cerveau de Sieyès après le 18 brumaire sont aussi étrangères au vrai mouvement de 89 que l’ont été en 1848 les fan-