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trop grand nombre à l’exposition de 1862, tandis qu’on regrette de ne point y trouver encore plus de spécimens de sa première manière. Il mourut à Malte en 1841.

Les Anglais n’ont point le mot patrie, ils le remplacent par le mot country ; cela n’indique-t-il point que chez eux le sentiment patriotique se forme surtout des attaches avec la campagne et avec la terre natale ? Une telle disposition nationale devait engendrer dans les arts une école de paysagistes : c’est en effet la branche dans laquelle excellent nos voisins. Cette école de paysagistes anglais commence avec Wilson (1713-1782), qui eut le tort, selon nous, de tourner trop souvent les regards vers l’Italie ou la France et pas assez vers la Grande-Bretagne. Doué d’ailleurs à un haut degré du sentiment de l’espace, comme aurait dit le docteur Gall, il saisit à merveille les grands traits de la nature, les longues traînées de lumière, les mers tourmentées, les ruines et le calme du matin après une nuit de tempête. Morland, avec moins de talent, s’est attaché davantage aux scènes de la campagne plus ou moins anglaise, — des moutons, un groupe de gypsies, une chasse aux canards sauvages sur le bord de la mer. Il faut pourtant arriver jusqu’à ces derniers temps pour trouver tout à fait le vrai caractère du pays dans les tableaux des peintres britanniques. Un des premiers qui aient touché juste fut Constable. Né en 1776 et fils d’un meunier dans le comté de Sussex, il devint peintre par hasard, ou plutôt par amour de la nature, en se promenant le long de la rivière et autour du moulin de son père. Même après qu’il eut quitté ce cher moulin pour venir à Londres, son cœur resta aux lieux où il avait passé son enfance. On a dit de lui que c’était un colimaçon qui portait son village sur le dos. Une forte trace en effet de ses premières impressions se retrouve dans tous ses tableaux, d’une exécution inégale, d’un dessin souvent trop peu sévère, mais où il peint toujours avec verve et avec fraîcheur une écluse, un moulin, une verte plaine avec une charrette chargée de foin, surtout une rivière avec les pulsations et les frémissemens de l’eau courante. Constable était fait pour célébrer les ruisseaux ; un autre peintre qui s’était aussi formé lui-même, George Chambers, se prit d’amour pour la mer, cette voisine orageuse et charmante de la Grande-Bretagne. Ce dernier était fils d’un pauvre marin, et tout enfant il avait été élevé sur les vagues en qualité de mousse ; il passait des heures sur le pont ou dans les cordages à contempler l’océan, et à l’aide de couleurs grossières qui se trouvaient par hasard dans le navire, il cherchait à fixer sur une planche les insaisissables beautés du ciel et de l’eau. Le patron en fut si surpris qu’il rompit lui-même l’engagement en vertu duquel le petit George était lié à titre d’apprenti. Pendant