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trône, le prince Rakotond, fils et héritier de Ranavalo, tolérait, encourageait même les conspirations, et faisait ouvertement appel aux étrangers; mais la vieille reine sut jusqu’au bout défendre sa position, et elle ne fléchit que devant la mort. Rakotond lui succéda sans difficulté sous le nom de Radama II. Fidèle aux engagemens qu’il avait pris comme prince royal, il annonça immédiatement le désir d’entrer en rapports avec l’Europe. La France et l’Angleterre, qui se sont de tout temps trouvées en contact et en conflit sur le terrain de Madagascar, accueillirent avec empressement les ouvertures qui leur étaient faites. En janvier 1862, M. le baron Brossard de Corbigny, capitaine de frégate, se rendait à Atanarive, capitale de l’île, avec une mission du gouvernement français, et il était reçu à la cour de Radama II de la manière la plus courtoise. A la suite de cette mission, le commandant de notre station navale à Bourbon a reçu l’ordre de continuer les bienveillantes relations ouvertes par M. de Corbigny, pendant que de son côté le gouverneur de l’île Maurice ne néglige rien pour faire tourner au profit du commerce anglais la révolution qui vient de s’accomplir à Madagascar. Il y a donc là, dans ce coin du monde où l’on ne serait guère disposé en ce moment à jeter les yeux, une situation nouvelle qui ne manque pas d’intérêt pour l’avenir et qui mérite d’être examinée avec quelque attention.

La France, assure-t-on, a des droits de souveraineté sur Madagascar, et l’on ajoute que l’heure est venue de les faire valoir. Cette opinion est développée très énergiquement par M. F. Riaux dans une notice historique dont il a fait précéder la traduction récente du Voyage à Madagascar, de Mme Ida Pfeiffer[1]. Elle a été également exprimée par plusieurs organes de la presse périodique, qui ont trouvé dans la conquête, très facile pour eux, de Madagascar un motif d’amplifications sur la gloire attachée aux entreprises lointaines. Il est superflu de mentionner l’ardeur avec laquelle les colons de La Réunion encouragent tous ces projets d’expédition contre la grande île qui pourvoit en grande partie à leur alimentation. Cette polémique, rapprochée des démarches officielles faites auprès du successeur de Ranavalo, donne un intérêt d’à-propos aux relations les plus récentes qui concernent Madagascar. Avec Mme Ida Pfeiffer, on peut se rendre compte de la situation de l’île vers la fin du règne de la vieille reine ; avec M. Brossard de Corbigny, on assiste presque à l’avènement du nouveau souverain, et les renseignemens recueillis dans le cours de ces deux visites à la cour d’Atanarive permettent de juger s’il est réellement utile et opportun pour la France de tenter l’aventure qu’on lui propose en plantant à Madagascar le drapeau de la souveraineté ou celui du protectorat.

Ce fut en mai 1857 que Mme Pfeiffer débarqua à Tamatave. Comment la célèbre et infatigable voyageuse se décida-t-elle à se rembarquer, à l’âge de soixante ans, après avoir fait deux fois le tour du globe? N’avait-elle pas déjà vu assez d’îles et de continens, et pourquoi, parmi les pays peu nombreux, il est vrai, qu’elle n’avait point encore visités, eut-elle l’idée

  1. Voyage à Madagascar, par Mme Ida Pfeiffer, traduit de l’allemand par M. de Suckau et précédé d’une notice historique par M. F. Riaux; 1 vol. in-12, chez Hachette. — Voyez aussi un Voyage à Madagascar, par M. le baron Brossard de Corbigny, capitaine de frégate, dans la Revue maritime et coloniale de juillet et août 1862.