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Londres. Il avait alors quarante-six ans, et, malgré cet âge un peu avancé pour la voix fragile d’un sopraniste, Pacchiarotti retrouva dans cette grande ville l’éclatant succès qu’il y avait eu autrefois. Il resta en Angleterre encore une dizaine d’années, gagnant des sommes considérables à donner des leçons et à chanter dans les concerts. Il retourna en Italie en 1801, et se fixa à Padoue, où il vécut jusqu’en 1821 en grand seigneur et en homme de bien. Il avait succédé à Guadagni comme chanteur de la chapelle de Saint-Antoine.

Pacchiarotti était grand, et sa taille, qui avait été mince d’abord, grossit beaucoup avec les années. Sa figure n’avait rien de remarquable, non plus que sa voix, dont le charme consistait dans l’art qu’il mettait à la diriger et surtout dans l’expression pathétique des sentimens, qui était la qualité suprême de son talent. Il paraît même que cette voix, qui lui avait coûté si cher, avait quelque chose de nasal, et qu’il fallait l’entendre pendant quelque temps avant que l’oreille s’y accoutumât. Lord Edgecumbe, qui avait beaucoup connu Pacchiarotti à Londres, parle ainsi de ce grand virtuose : « La voix de Pacchiarotti était aussi douce qu’étendue. Sa facilité de vocalisation était extrême, mais il avait trop bon goût pour en abuser. Il se contentait de placer dans chaque opéra un air de bravoure dans lequel il pouvait déployer toute l’agilité de son organe, puis il chantait le reste de son rôle avec une grande simplicité de style, persuadé qu’il était que l’art du chant consiste surtout dans l’expression. Il était excellent musicien, lisait tout à première vue, et tous les styles lui étaient familiers. Il observait scrupuleusement les intentions du compositeur, et jamais cependant il ne chantait deux fois un morceau de la même manière. Son genre d’ornemens consistait surtout dans le trille, qui était considéré par le public d’alors comme la plus grande difficulté de l’art. Malgré sa taille élevée et son extrême embonpoint, il était bon comédien. Pacchiarotti sentait vivement, et il professait un grand enthousiasme pour les vraies beautés de l’art. Sa manière de dire le récitatif était si exquise et si noble que, sans même comprendre les paroles italiennes, on le suivait avec le plus vif intérêt. C’est dans un salon, devant un petit auditoire, que Pacchiarotti était surtout admirable. C’est ainsi que je l’ai entendu chanter une cantate de Haydn, intitulée Ariane à Naxos, écrite pour une seule voix, avec un simple accompagnement de clavecin. L’illustre maître, qui avait composé ce morceau pour la Billington, accompagnait lui-même le virtuose au clavecin. Pacchiarotti était un artiste sincèrement modeste; ses qualités d’homme du monde le rendaient aussi cher à ses amis que son talent d’artiste le faisait admirer du public. »

L’écrivain allemand que nous avons cité plus haut disait du talent de Pacchiarotti, qu’il put apprécier à Venise en 1781 : « Il est impossible d’entendre une voix plus douce et plus suave et un plus beau talent. L’effet qu’il a produit sur moi dépasse tout ce que je pourrais vous dire. La voix de Pacchiarotti est si bien dirigée, si ferme et si juste qu’elle vous pénètre dans l’âme et vous communique une émotion douce et profonde. » N’oublions pas d’ajouter que c’est un Allemand qui parle ainsi d’un sopraniste italien, genre de chanteurs qu’on avait en horreur au-delà du Rhin. Un amateur et un écrivain distingué de Venise, le chevalier André Majer, qui a laissé plu-