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sieurs ouvrages remarquables sur la musique, dit aussi de Pacchiarotti : « Je défie l’écrivain le plus habile d’essayer de donner une idée du talent de cet artiste à ceux qui ne l’ont pas entendu. Son style savant et admirable se composait de nuances infinies, d’ornemens brisés, d’appoggiatures, de grapetti, de rinforzi, c’est-à-dire de renflemens de sons et de demi-teintes adorables dont il est impossible à la parole humaine de rendre les effets[1].» Arteaga, dans son Histoire des Révolutions du théâtre musical en Italie, s’écrie, en parlant du grand virtuose qui nous occupe : « pathétique Pacchiarotti! bien que ton rival, Marchesi, te soit supérieur par l’éclat de la vocalisation, tu es le seul artiste vivant à qui je voudrais accorder le laurier dont l’ancienne Grèce couronnait la statue d’Arion! » Cette opinion sur le talent de Pacchiarotti était universellement partagée, Mme Vigée-Lebrun, ce peintre délicat et charmant qui se trouvait à Venise en 1792, dit, dans les mémoires qu’elle a laissés : « J’assistai au dernier concert que donnait Pacchiarotti, célèbre chanteur, modèle de la grande et belle méthode italienne. Il avait encore tout son talent; mais depuis le jour dont je parle, il n’a plus reparu devant le public. » On raconte qu’à Rome, où Pacchiarotti chantait dans un opéra de Bertoni, Artaserse, il fut si touchant et si pathétique dans la scène du jugement, alors qu’il s’écrie : Eppur sono innocente, que les musiciens de l’orchestre s’arrêtèrent tout court. Étonné de ne plus entendre l’accompagnement, Pacchiarotti baissa le regard et dit au chef d’orchestre : « Eh bien! que faites-vous donc? — Nous pleurons, « répondit-il.

Nous l’avons dit, le goût fin, le sentiment et le savoir de Pacchiarotti, qui avait reçu une bonne éducation musicale et littéraire, le rendaient propre à chanter tous les styles; mais c’est dans la musique large et sérieuse qu’il était particulièrement remarquable. Comme tous les virtuoses célèbres qui ont parcouru le monde, Pacchiarotti fut obligé de chanter dans beaucoup d’ouvrages médiocres, tels que les opéras de Nasolini, par exemple; mais lorsqu’il pouvait choisir, il n’aimait à interpréter que les œuvres des grands maîtres. Il avait un grand penchant pour la musique de Traetta, qui fut un compositeur plein de sentiment, et particulièrement pour les opéras de Jomelli, qu’on avait surnommé le Gluck de l’Italie. Il s’était formé un répertoire des plus beaux airs qu’il avait pu trouver, et il les intercalait dans les opéras médiocres où il était obligé de paraître. On cite parmi ces morceaux favoris de Pacchiarotti l’air Misero pargoleto, du Demofoonte d’un compositeur obscur, Monza; un air de Bertoni : Non temer; un autre: Dolce speme, du Rinaldo de Sacchini; puis Ti seguiro fedele, de l’Olimpiade de Paisiello, et surtout un air de Piccinni :

Destrier che all’ armi usato,


où il était admirable, au dire de Saverio Mattei. Dans sa longue retraite à Padoue, où il vivait comme un seigneur, Pacchiarotti aimait à faire exécuter dans ses appartemens les psaumes de Marcello, dont il comprenait si bien le style large et solennel. Pacchiarotti, que j’ai entrevu dans ma

  1. Discorso sulla origine, progressi e stato attuale della musica italiana. Padoue 1821, in-8o. C’est l’année où est mort Pacchiarotti.