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ligne de douane ne pourrait concilier, et par l’impossibilité de régler sans querelles journalières les nombreuses questions qui se rattachent à la navigation des fleuves de l’ouest. Toutes ces raisons, dont on se rendit compte immédiatement, jointes aux souffrances de l’amour-propre blessé et à la nouveauté d’un mouvement guerrier au milieu de ces contrées paisibles, eurent pour résultat la mise sur pied de l’immense armement avec lequel les états du nord ont jusqu’à ce jour soutenu la guerre contre les puissans efforts de la sécession.

Admirons ici, avant de passer aux nombreuses critiques que nous aurons à faire plus loin, l’énergie, le dévouement, l’esprit d’abnégation courageuse avec lequel la population de ces états, conduisant son gouvernement bien plus qu’elle n’était conduite par lui, a d’elle-même, et sous la seule impulsion de son bon sens patriotique, donné sans compter hommes et argent, sacrifié ses convenances, renoncé volontairement, et pour le bien public, à ses goûts, à ses habitudes, jusqu’au libre parler de ses journaux, et cela, non sous l’empire d’une passion du moment, non dans un transport d’enthousiasme passager, mais froidement, et pour un but éloigné de grandeur nationale.

On s’est donc mis sérieusement à l’œuvre pour créer une armée, une grande armée. Secondé par l’opinion publique, le congrès a résolu la levée de 500,000 hommes, avec les fonds nécessaires pour l’accomplir. Malheureusement il ne lui a pas été donné de décréter les traditions, les connaissances et l’expérience requises pour la formation et la conduite d’une pareille force militaire. Il a bien pu réunir des masses d’hommes, un matériel immense, comme par enchantement ; il n’a pas pu créer par un vote l’esprit de discipline, d’obéissance, le respect hiérarchique, sans lesquels il y a des foules armées, mais il n’y a pas d’armée. Là est un écueil contre lequel sont venus se briser bien de généreux efforts. Là est un vice originel dont nous verrons partout la funeste influence. Nous allons en découvrir le germe en examinant rapidement le mécanisme par lequel s’improvisa cette première création.

D’après les lois américaines, le gouvernement fédéral entretient en temps de paix une armée régulière permanente, il peut de plus, dans les cas de crise, guerre ou insurrection, appeler sous les drapeaux autant de régimens de volontaires qu’il le juge convenable. L’armée régulière, formée par recrutement, ne comptait que 20,000 hommes avant la sécession. Le corps d’officiers, sorti en entier de l’école militaire, était remarquable. Très instruits, versés dans la pratique du métier, comprenant la nécessité d’un commandement absolu, les officiers maintenaient dans leur petite troupe