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par six rameurs vigoureux, dépenaillés, mais fort polis du reste, qui me saluaient d’ensemble, et ne manquaient pas de dire en chœur : Felicita ! toutes les fois que le soleil me faisait éternuer. ils criaient fort, maniaient allègrement leurs grands avirons et s’encourageaient entre eux. « Allons, disaient-ils, ramons, il y a là un bon monsieur qui nous donnera de quoi acheter du macaroni! » La chaleur les alanguissait, ils sifflaient la brise, qui ne venait pas; ils s’inclinaient plus mollement sur leurs rames, qui ne faisaient plus grincer les tolets; ils reprenaient alors : « Ah ! ah ! ah ! un bon coup! Ah! ah! ah! et nous aurons du macaroni! » En somme, ils résumaient assez bien l’existence, où chacun rame de son mieux pour atteindre le macaroni de ses rêves.


I.

L’île de Capri apparaît comme deux immenses blocs de rochers reliés entre eux par une longue colline évasée, ruisselante de végétation et parsemée de maisons blanches; le soleil la baigne de lueurs éclatantes qui unissent dans l’intensité d’une harmonie lumineuse l’azur profond de la mer, le ton grisâtre des falaises et les teintes sombres des arbres verdoyans. Un étroit rivage chargé de galets où des barques sont tirées à sec, une rangée de maisons à toits plats alignées en face de la mer, c’est la Marine, et nous y abordons. A peine la lancia a-t-elle touché le rivage qu’elle est envahie par un troupeau de femmes qui piaillent, s’injurient, se prennent aux cheveux, se renversent et se démènent pour s’emparer de mon bagage. Sachant par expérience que la femme est naturellement et obstinément rebelle à toute sorte de raisonnemens, je les laisse faire sans même essayer de défendre un malheureux sac de nuit qui risquait fort d’être mis en pièces pendant la bagarre. Après un long combat, celles qui restèrent maîtresses du terrain chargèrent virilement les paquets sur leur tête, et je les suivis humblement, ainsi qu’il convient à un homme résigné.

Ln chemin étroit, pavé de pierres luisantes, toujours en rampe, parfois en escalier, circulant à travers des jardins défendus par des murailles frissonnantes d’herbes sauvages, me mène jusqu’à la ville de Capri, que semblent protéger quelques vieux restes de fortifications et trois portes, dont l’une est encore garnie de son pont-levis. Étendue en quart de cercle sur un des ressauts de la colline qui réunit les deux montagnes dont l’île se compose, la ville se présente d’une façon pittoresque, vue d’en bas, avec ses maisons juchées sur de hautes fondations glissant comme les glacis d’une citadelle à travers des masses de verdure qui en cachent les pieds. Recrépie à la chaux, elle a de loin une apparence proprette que dément trop vite