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sommet d’un piton isolé, un aloès étale ses tiges raides et ressemble à un ornement d’architecture. Au niveau de la mer s’ouvrent des trous ronds, larges et profonds, qu’on dirait creusés exprès à l’aide d’une gigantesque tarière; en y frappant, le flot y détone comme une lointaine artillerie. Au milieu de la côte bâillent de vastes grottes inaccessibles, où les stalactites pendent en longues colonnes renversées. A certaines places, la stalactite s’est unie au rocher, et fait corps avec lui; dans quelques années, on ne la distinguera plus; la formation calcaire sera complète. Comme nous passions devant la pointe del Tuono, un nuage se forma : léger, transparent, semblable à la vapeur d’une immense chaudière, il alla s’asseoir à la cime du rocher, et de là il laissa tomber quelques gouttes d’eau sur nous. Près de ce promontoire del Tuono, ainsi nommé parce qu’il est souvent visité par la foudre, des terres blanchâtres couvrent la base du rocher et descendent jusqu’à la mer. Les pauvres gens viennent en prendre quelques poignées, les font bouillir, et obtiennent ainsi un sel grossier qui rend leurs alimens moins insipides. Deux grottes, la Mannolara et la Mannoratella, ne sont que des enfoncemens où l’eau pénètre; mais plus loin, près de la pointe Ventroso, s’ouvre, à travers les rochers, un passage qu’on franchit en barque, et qui s’appelle la Grotte verte. L’eau en effet y est d’une couleur verte très tendre, et les corps que l’on y plonge s’y teignent immédiatement d’un ton blanc glacé de vert. C’est le même phénomène que dans la Grotte d’Azur, à la différence près des couleurs. Au-delà de la pointe Ventroso, on rencontre la Petite-Marine, près de laquelle on visite une caverne que la mer ne peut atteindre, et qui servait jadis de chantier aux charpentiers constructeurs de barques ; au fond s’arrondit une alcôve naturelle, séparée en deux parties égales par un mur de brique; dans un coin, on reconnaît les débris d’un four; elle a conservé son ancien nom, la Grotte de l’Arsenal. A cent pas de la côte, deux vastes rochers s’élèvent dans la mer, pareils aux tours d’une cathédrale informe : on les nomme li Faraglioni. Dans l’un de ces rochers s’ouvre un porche énorme où les bateaux à vapeur peuvent facilement passer; un peu plus loin, un rocher plat, portant quelques ruines de murailles, se dresse sous un panache d’herbes sauvages : c’est l’écueil del Monacone. Les gens du pays prétendent que là fut enfermée et détenue Julie, la petite-fille d’Auguste : tradition menteuse, qui veut concentrer sur Capri même tous les faits du règne de Tibère. Le texte de Tacite[1] est positif : Julie mourut, après vingt ans d’exil, dans l’île de Trimère, sur les côtes de la Pouille. En passant au--

  1. Tacite, Ann., liv. IV, § 61.