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chasser un loup qui était descendu furtivement des collines, mais se tenait à l’écart, — effarouché par les chiens, loin de la proie humaine. — Pourtant il attrapa sa part d’un cheval qui gisait, — rongé par les oiseaux, sur les sables de la baie. » Voilà l’issue de l’homme; la chaude frénésie de la vie aboutit Là; enseveli ou non, peu importe : vautours ou chacals, ses fossoyeurs se valent! la tempête de ses colères et de ses efforts n’a servi qu’à le leur jeter en pâture, et il n’arrive sous leurs becs ou sous leurs mâchoires qu’avec le sentiment de ses espérances frustrées et de ses désirs inassouvis. Quelqu’un de nous a-t-il pu oublier la mort de Lara après l’avoir lue? Quelqu’un a-t-il vu ailleurs, sauf dans Shakspeare, une plus lugubre peinture de la destinée de l’homme en vain cabré contre son frein? Quoique généreux comme Macbeth, il a tout osé, comme Macbeth, contre la loi et contre la conscience, même contre la pitié et le plus vulgaire honneur ; les crimes commis l’ont acculé à d’autres crimes, et le sang versé l’a fait glisser dans une mare de sang. Corsaire, il a tué; coupe-jarret, il assassine, et les meurtres anciens qui peuplent ses rêves viennent avec leurs ailes de chauves-souris heurter aux portes de son cerveau. On ne les chasse point, ces noires visiteuses; la bouche a beau rester muette, le front pâli et l’étrange sourire témoignent de leur venue. Et pourtant c’est un noble spectacle que de voir l’homme debout, la contenance calme, jusque sous leur attouchement. Le dernier jour est venu, et six pouces de fer ont eu raison de toute cette force et de toute cette furie. Il est couché sous un tilleul, et sa plaie ruisselle. A chaque convulsion, le flot jaillit plus noir, puis s’arrête; le sang ne tombe plus que goutte à goutte, et déjà son front est humide, son œil terne. Les vainqueurs arrivent, il ne daigne pas leur répondre; le prêtre approche la croix bénite, il l’écarte avec mépris. Ce qui lui reste de vie est pour ce pauvre page, seul être qui l’ait aimé, qui l’a suivi jusqu’au bout, qui maintenant essaie d’étancher le sang de sa blessure. « Lara peut à peine parler, mais fait signe que c’est en vain, » — lui prend la main, le remercie d’un sourire, et, lui parlant sa langue, une langue inconnue, lui montre du doigt le côté du ciel où en ce moment le soleil se lève et la patrie perdue où il veut le renvoyer. Des assistans nul souci, sur lui-même aucun retour; son visage reste « immobile et sombre, sans repentir, » comme dans sa vie. « Cependant son souffle haletant soulève péniblement sa poitrine, — et le nuage s’épaissit sur ses yeux troubles, — ses membres s’étendent en tremblotant, et sa tête retombe. » Tout est fini, et de ce hautain esprit il ne reste plus qu’une pauvre argile. Après tout, pour de tels cœurs c’est là le sort désirable; ils ont mal pris la vie, et ne reposent bien que dans le tombeau.

Étrange poésie toute septentrionale, qui a sa racine dans l’Edda