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le granit sans herbe, pour me plonger — dans le torrent et m’y rouler — dans le rapide tourbillon des vagues entre-choquées, — pour suivre à travers la nuit la lune mouvante, — les étoiles et leur marche, pour saisir — les éclairs éblouissans jusqu’à ce que mes yeux devinssent troubles, — ou pour regarder, l’oreille attentive, les feuilles dispersées, — lorsque les vents d’automne chantaient leur chanson du soir. — C’étaient là mes passe-temps, et surtout d’être seul, — car si les créatures de l’espèce dont j’étais, — avec dégoût d’en être, me croisaient dans mon sentier, — je me sentais dégradé et retombé jusqu’à elles, — et je n’étais plus qu’argile. »

Il vit seul, et il ne peut pas vivre seul. La profonde source de l’amour, exclue de ces issues naturelles, déborde alors et dévaste le cœur qui n’a pas voulu s’épancher. Il a aimé, trop aimé, trop près de lui, sa sœur peut-être ; elle en est morte, et le remords impuissant est venu remplir cette âme que nulle occupation humaine n’avait pu combler. «Ma solitude n’est plus une solitude ; — elle s’est peuplée de furies. J’ai grincé mes dents — dans les ténèbres jusqu’au retour de l’aube; — puis, jusqu’au soleil couchant, je me suis maudit. J’ai demandé — la folie comme un bienfait; elle m’est refusée. — J’ai affronté la mort; mais dans la guerre des élémens — les eaux se sont écartées de moi, — et les choses mortelles ont passé près de moi sans me faire mal. La froide main — d’un démon impitoyable m’a retenu, — m’a retenu par un seul cheveu, qui n’a pas voulu se briser. — Dans la fantaisie, dans l’imagination, dans toutes — les opulences de mon âme, j’ai plongé jusqu’au fond ; — mais, comme une vague refluante, elle m’a rejeté — dans le gouffre de ma pensée sans fond. — J’habite dans mon désespoir, et j’y vis, j’y vis pour toujours. » Qu’il la voie encore une fois, c’est vers cet unique et tout-puissant désir qu’affluent toutes les puissances de son âme. Il l’évoque au milieu des démons; elle paraît, mais ne répond pas. Il la supplie, avec quels cris, quels douloureux cris d’angoisse profonde ! Comme il l’aime ! De quel élan et de quel effort toutes ses tendresses refoulées et écrasées bouillonnent et s’échappent à l’aspect de ces yeux bien-aimés qu’il revoit pour la dernière fois! Avec quel entraînement ses bras convulsifs se tendent vers cette forme frêle qui, en frissonnant, sort de la tombe, vers ces joues où le sang rappelé par contrainte pose une rougeur maladive « comme celle que l’automne met dans les feuilles mourantes! » — « Ecoute-moi, écoute-moi! — Astarté, ma bien-aimée, parle-moi! — J’ai tant enduré, j’ai tant à endurer encore! — Regarde-moi, ce tombeau ne t’a pas changée — plus que je ne suis changé pour toi. Tu m’aimais trop — comme je t’ai aimée. Nous n’étions point faits — pour nous torturer ainsi l’un l’autre, quand c’eût été — le plus mortel péché de nous aimer comme nous nous sommes aimés. — Dis que tu n’as