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comme il l’avait promis, et il est en train de changer ses vassaux extérieurs en sujets dépendans. Voilà ce que l’Angleterre a fait du traité de 1856; voilà comme elle l’a lait reculer de l’amélioration des chrétiens à la restauration de la Turquie.

J’ai voulu indiquer le trait caractéristique de la situation nouvelle de l’Orient avant d’arriver aux détails de cette situation. Voyons maintenant ces détails principaux, ou plutôt voyons les querelles qui ont lieu en Serbie, au Monténégro et en Syrie. Le sujet de ces querelles est partout le même : c’est partout l’Orient nouveau, l’Orient chrétien qui est attaqué par l’Orient turc; partout aussi c’est le même juge qui intervient dans le litige pour donner arrêt contre l’avenir au profit du passé, contre la chrétienté au profit de l’islamisme, et ce juge est partout l’Angleterre.


I.

Je commence par la Serbie. Il y a vingt-six ans, je descendais le Danube, et je me souviens que Belgrade fut la première ville turque que je rencontrai. Ce fut à la fois pour moi un genre de vue nouveau et une curieuse énigme : une vue nouvelle; c’était la première fois en effet que je voyais ce mélange gracieux d’arbres et de maisons que font les villes turques. J’ajoute, pour expliquer mon enchantement de cette première ville turque, que je n’y entrai point, et que je ne la vis que de loin. Les lois sanitaires m’empêchaient d’y aborder, et Belgrade gagna beaucoup à rester pour moi en perspective; mais ce beau coup d’œil m’offrit en même temps une énigme à deviner. Belgrade est une ville serbe, c’est même la vraie capitale de la Serbie; seulement cette capitale de la Serbie a une forteresse occupée par les Turcs. Supposez dans Paris notre ancienne Bastille occupée par les Anglais ou par les Autrichiens, ou bien encore supposez la caserne du Prince-Eugène et les deux grandes casernes de l’Hôtel de Ville contenant garnison russe ou prussienne : que dirions-nous d’un pareil état de choses, fut-il même établi par les traités, surtout si de temps en temps la garnison, comme pour consacrer son droit, s’amusait à faire feu sur la ville?

Belgrade, Semendria et Orschova sont les trois forteresses qui défendaient l’empire turc contre l’Autriche, Belgrade en face de Semlin, Semendria et Orschova en face du Banat autrichien et des colonies militaires. Ces trois forteresses sont en Serbie. Dans les guerres entre les Turcs et les Serbes, les Turcs perdirent les villes bâties sous ces forteresses. Les citadelles seules restèrent entre leurs mains. La paix a sanctionné cet état de choses; mais qu’est-ce qu’une paix qui laisse subsister toutes les difficultés mêmes de la guerre? Les