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lement ; mais elle concentre ses forces sur le Danube, et à Belgrade surtout. La citadelle turque va avoir une esplanade qu’elle n’avait pas; nécessairement les Serbes, de leur côté, auront un corps régulier d’observation en face de la citadelle. C’est une paix armée; les difficultés sont érigées, pour ainsi dire, en face l’une de l’autre. Dans l’ancien état de choses, tout était difficultueux assurément, mais tout était somnolent. Aujourd’hui tout est vigilant. Le duel est ajourné, mais il est réglé d’avance. Tout est organisé comme à la veille d’une entrée en campagne, et, sans vouloir faire en ce moment aucune comparaison inquiétante, je dirai que l’état de paix imposé à la Turquie et à la Serbie ressemble en petit à l’alliance entre la France et l’Angleterre, alliance à la fois très pacifique et très belligérante; car c’est la paix, mais une paix qui peut du jour au lendemain se changer en guerre. Tout est prêt pour la bataille. On me dit que c’est pour cela qu’elle n’aura pas lieu : je l’espère.


IV.

Je passe de la Serbie au Monténégro. Je trouve là aussi depuis trois ou quatre ans un nouvel état de choses, et depuis un mois un nouvel arrangement fait aussi par la diplomatie européenne.

Si la célébrité fait le bonheur, le Monténégro depuis plusieurs années déjà est en train d’être heureux. Beaucoup d’auteurs anglais, allemands et français ont parlé de ce petit pays. Le roi de Saxe, Frédéric-Auguste, l’a visité en 1838, et le narrateur de ce voyage royal, qui était plutôt, je dois le dire, un voyage de botanique que de politique, remarque que le prince qui gouvernait alors le Monténégro, Pierre Petrovitch, était un despote d’autant plus habile, qu’il savait fort habilement déguiser son despotisme. Ce Pierre Petrovitch, qui reçut le roi de Saxe dans son très modeste palais à Cettigné, mourut à la fin de 1851. C’était un poète distingué, un poète serbe, et comme la langue serbe est parlée de l’Adriatique à la Mer-Noire, et qu’un Monténégrin en Dalmatie, en Croatie, en Serbie et même en Bulgarie, comprend tout le monde et est compris aussi de tout le monde, cette réputation de poète serbe ne contribuait pas peu à l’ascendant de Pierre II et des Monténégrins parmi les Slaves.

« Les distinctions de race ou de religion, si profondément marquées en Orient, dit M. Delarue, auteur d’une courte et curieuse histoire du Monténégro, font qu’au mépris de toute division politique les populations honorent tout héros de même sang qu’elles-mêmes.» Pierre Ier du Monténégro, le prédécesseur de Pierre II, et qui mourut en 1830, était un grand prince pour tous les Slaves-Serbes, de même que Pierre II était un grand poète. « C’est par ses grands hommes