Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/994

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réactionnaire contre le parti libéral prussien, on hésite entre deux doutes : on se demande s’il cherchera à faire diversion aux restrictions intérieures en flattant et servant en Allemagne l’aspiration unitaire, ou bien si au contraire il ne se servira pas du prestige de la passion unitaire pour trouver simplement la force qui lui permettrait à l’intérieur d’assurer la victoire de la réaction. Il est fâcheux pour M. de Bismark que sa situation donne lieu à une pareille équivoque. En y réfléchissant d’ailleurs, on voit vite que le premier doute est sans fondement. M. de Bismark a fait entendre, à la vérité, quelques paroles qui répondent bien aux ambitions prussiennes. Il s’est plaint du traité de Vienne, il a parlé des élémens unitaires qui existent dans les divers états allemands en témoignant le regret que ces états s’en inquiétassent trop peu. Il a dit que la position faite à la Prusse par le congrès de Vienne la condamnait à porter une armure trop grande pour son petit corps, et comme il résiste à la chambre précisément parce qu’elle veut faire l’armure plus petite, on peut induire de ses paroles que sa pensée, à lui, est de faire le corps plus grand. Il a soutenu que, suivant sa vieille tradition, la Prusse devait toujours être fortement préparée afin de pouvoir emploj^er au bon moment des ressources toujours prêtes. Quand emploiera-t-on ces ressources ? Quand le gouvernement trouvera l’occasion bonne, et jugera que le moment d’agir est venu. Non, malgré ce langage, il est impossible de voir dans M. de Bismark un émule du grand homme d’état que l’Italie a perdu. M. de Cavour ne séparait pas, lui, le libéralisme du patriotisme, et il ne comptait pas moins, pour le succès et la justification de son entreprise dans la conscience des contemporains et de la postérité, sur la force de prosélytisme des institutions avancées du Piémont que sur l’appui de solides alliances. Lorsqu’il parlait d’agir quand le moment serait venu, il ne s’agissait pas, pour lui, de calculer froidement et cyniquement l’heure propice à une convoitise ambitieuse : il s’agissait d’affranchir une nation de la domination étrangère et de doter les diverses parties de cette nation d’un gouvernement plus libéral et meilleur que les pouvoirs qui les avaient jusqu’alors comprimées. M. de Bismark au contraire, qui entrave les progrès du régime constitutionnel, diminue la force d’agrégation et de prosélytisme de la Prusse, et discrédite en Allemagne l’idée unitaire. Il faut donc renoncer au rêve d’un Cavour poméranien et craindre plutôt que, si M. de Bismark réussissait à acquérir quelque popularité en caressant l’ambition extérieure de la Prusse, il ne s’en servit contre les libertés intérieures de son pays.

Le président Lincoln a eu enfin recours aux mesures extrêmes que le parti abolitioniste le pressait depuis longtemps d’adopter. Ces mesures, qui ont promptement suivi l’échec de la tentative des confédérés sur le Maryland, annoncent que la lutte, en se prolongeant, s’exaspère. Quelque déplorable que soit un pareil déchirement, les conséquences en sont si obscures encore que la prudence commande plus que jamais à l’Europe une politique d’abstention. La France et l’Angleterre ne feraient peut-être