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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/1031

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vignes de Lavaux, dans le canton de Vaud, par le même système de culture. Un hectare de vigne appartenant à M. de Guimps, et situé sur les bords du lac de Genève, rapporte tous les ans 120 hectolitres de vin. À 25 francs l’hectolitre, prix moyen des années antérieures à 1853, c’était déjà un revenu brut de 3,000 francs à partager entre le vigneron et le propriétaire ; mais le prix moyen ayant doublé depuis dix ans, ce revenu est aujourd’hui de 6,000 francs. 6,000 francs pour un seul hectare ! Il y a peu d’exemples d’un pareil produit, et le vigneron est absolument le maître. « Il soigne la vigne comme il l’entend, dit M. de Guimps, fume quand cela lui convient, achète son fumier où il veut, quand il veut, et le prix qu’il lui plaît ; il fait la récolte sans avertissement et sans que personne ait jamais songé à vérifier les quantités récoltées ; il paie les impôts, il vend le vin à qui bon lui semble, et au prix qui lui paraît être le bon ; puis il règle lui-même et il apporte ou envoie l’argent, sans que jamais on ait été obligé de le lui réclamer. Il suffit au propriétaire de savoir que ses vignes sont en parfait état, que les rendemens sont énormes, et que le vigneron s’enrichit. »

Ces faits sont authentiques ; ils vont ajouter un attrait de plus au voyage du lac de Genève. En allant de Lausanne à Vevay, on était peut-être importuné de l’aspect monotone de ces vignes qui s’étagent au bord du lac. On les regardera d’un autre œil quand on saura qu’elles enrichissent à ce point ceux qui les cultivent. En face du magnifique spectacle de cette nature si grande et si belle, l’industrie humaine ne fait pas trop mauvaise figure. On attribue l’origine de ces vignes à des protestans français du Bas-Languedoc, chassés de France par la révocation de l’édit de Nantes. « L’arpent de terre, dit l’historien Lémontey, qu’on achetait couramment 3 francs avant leur arrivée, vaut aujourd’hui 10,000 francs, » et cette valeur a plus que doublé depuis Lémontey.


L. DE LAVERGNE.


LA CHANSON D’ANTIOCHE.[1]

Les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié les pages de M. Vitet sur la Chanson de Roland, et les traductions si habiles, si heureuses qui relevaient encore le prix de cette étude excellente. À propos d’une version du vieux poème tentée par M. Génin, version ingénieuse, mais trop archaïque, et que l’on eût pu attribuer par instans à une plume du XVIe siècle, M. Vitet avait repris ce travail pour son propre compte, et, sans affectation, sans archaïsme, il avait donné dans la langue la plus souple une reproduction singulièrement expressive du modèle. Le traducteur n’avait point renoncé à l’idiome de nos jours, et pourtant c’était bien le poète de Roland qui nous parlait. Cet exemple méritait d’être suivi. N’y a-t-il pas dans notre vieille littérature nationale bien des poèmes, bien des chansons de geste, qui seraient dignes de reparaître à la lumière ? Que de nobles œuvres déjà retrouvées, commentées, expliquées, qui ne sont pas sorties du domaine de l’érudition ! Combien de richesses qui font la joie de nos savans, et dont le

  1. Chronique des Croisades. — La Chanson d’Antioche, composée au douzième siècle par Richard le Pèlerin, renouvelée par Graindor de Douai au treizième siècle, traduite par la marquise de Sainte-Aulaire ; 1 vol. grand in-18. Paris, Didier, 1862.