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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/152

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En Bavière même, où tant de sottes haines s’acharnaient centre lui, il recueillait déjà les sympathies les plus précieuses. Si le ministère de l’instruction publique maintenait l’interdit qui l’avait frappé, le jeune prince Maximilien, celui qui règne aujourd’hui, ne voulait pas se priver des leçons d’un tel homme, et il lui donnait une hospitalité toute cordiale dans sa résidence de Hohenschwangau.

Cependant, rêveur studieux et obstiné, l’Orient l’attirait toujours. Muni de nouvelles recherches qu’il veut vérifier sur les lieux, il repart au printemps de 1847. Le voilà en Syrie, en Palestine, et bientôt à Sinope, à Samsoun, à Trébizonde, dans cette Trébizonde merveilleuse dont la magie l’ensorcelle. Il recommence à peindre les spectacles qui l’entourent, tantôt en de simples croquis, tantôt en de vastes toiles, et parmi ces dernières on doit citer ses descriptions de Jérusalem, si précises et si colorées tout ensemble, sa vue générale d’Alep, son expressif tableau de la Mer-Morte. Nous recommandons aussi les notes de voyage sur Athènes et Constantinople. Il faut tout dire pourtant : l’esprit de système et l’imagination semaient parfois un grain de folie dans cette cervelle inquiète. Une des scènes les plus bizarres qu’ait tracées le pinceau de Fallmerayer, c’est le Festin des diplomates à Haider-Pacha. Cette fête vraiment asiatique donnée à tout un peuple par le sultan Abdul-Medjid, cette tente gigantesque dressée sur la rive orientale du Bosphore entre Chalcédoine et Scutari, cette hospitalité grandiose, ces repas homériques, ces largesses sans fin, tout cela produit chez le voyageur comme un féerique éblouissement qui semble lui troubler la raison. À quel propos ces fêtes sans pareilles ? A propos d’un événement de sérail : un fils vient de naître à sa hautesse.

« En Orient, dit Fallmerayer, il n’est pas de bonheur plus envié, pas de titre plus précieux que d’avoir un fils et d’être musulman. Le père du grand Sésostris avait fait nourrir et élever à ses frais tous les enfans mâles venus au monde le même jour que son fils, les destinant à être par la suite les compagnons et les serviteurs du nouveau-né ; Abdul-Medjid a mieux fait encore : il a offert le baptême musulman à tous les enfans de la contrée du Bosphore qui avaient vu le jour dans les dix dernières années et qui n’avaient pas encore reçu la consécration religieuse. Huit mille enfans furent inscrits, et tous les jours, sur un immense théâtre de bois construit tout exprès, neuf cents d’entre eux à la fois furent soumis au rite de l’islam. Chacun des néophytes, outre la taxe accoutumée et la subsistance quotidienne, recevait comme présent de baptême 200 piastres et un vêtement neuf. Cinq navires à vapeur au service du sultan allaient et venaient du matin jusqu’au soir pour transporter le public de l’une à l’autre rive du détroit. Avec une sollicitude dont on n’a aucune idée en Europe, les bateaux faisaient la ronde dans toute la banlieue de Stamboul, de San-Stefano jusqu’à la Mer-Noire, rassemblaient les enfans avec toute leur famille, les conduisaient