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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/153

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au lieu de la cérémonie et les ramenaient chez eux chargés des largesses impériales. De longues salves de canon, en signe de joie, éclataient trois fois par jour. Au coucher du soleil commençait une véritable pluie de feu, des milliers de fusées se croisaient dans les airs, tandis que des lampes sans nombre illuminaient les tièdes rivages du Bosphore de Haider-Pacha jusqu’à Bujuk-Déré. Tous les fonctionnaires de l’empire, du grand-vizir au plus humble employé, avec leurs gens de service, habitent ces jours-là les tentes d’Haider-Pacha, et sont les hôtes du grand-seigneur aussi longtemps que se prolonge la fête. Deux fois par jour, il y a repas impérial sous la gigantesque tente, et les dignitaires de l’état, les personnages notables de toute nation en rapport avec la Sublime-Porte y sont tour à tour invités selon l’importance de leur rang. On calcule que, pendant les douze jours de gala, le nombre des hôtes hébergés par sa hautesse, y compris les domestiques, les hallebardiers et les gardes, ne s’élève pas à moins de cent mille hommes… Le jeudi 23 septembre 1847, à deux heures de l’après-midi, l’auguste corps des ambassadeurs étrangers, avec les secrétaires et les interprètes, était invité au dîner impérial, et on n’avait pas oublié de mentionner dans les billets d’invitation que le grand uniforme était de rigueur. Tout ce que la vanité ingénieuse, de Lisbonne à Téhéran, a su inventer dans l’art de la décoration, la splendeur de l’or, la flamme étincelante des diamans, enfin tous les insignes dont les rois de la terre couvrent la misérable humanité de leurs représentans, on pouvait les voir là d’un seul coup d’œil. Trente des plus hauts dignitaires de l’empire, avec leurs habits brodés d’or et constellés de brillans, devaient se joindre aux augustes hôtes. Qu’on se représente la scène, qu’on se figure une telle foule et sa splendide mêlée, tandis que les tièdes brises de Bithynie soufflent légèrement sur la plaine et que les diamans des diplomates étincellent aux rayons du soleil ! »


Il raconte alors tous les incidens de la fête, car il avait reçu, lui aussi, l’invitation du grand-vizir ; il peint l’arrivée des diplomates sur la côte asiatique, les rivalités des nations perçant dans les moindres choses, les navires cherchant à se dépasser les uns les autres, le débarquement, l’orage qui éclate, la brillante assemblée qui se disperse, le dîner remis au lendemain, puis au surlendemain, et les luttes d’amour-propre qui recommencent de plus belle sur ce pacifique champ de bataille. Il met en scène tous les personnages de cette féerie, le jeune sultan de vingt-trois ans, Abdul-Medjid, avec sa dignité impassible, le doyen du corps diplomatique, M. le baron de Bourqueney, ambassadeur de France, portant la parole au nom de ses collègues ; M. le comte Sturmer, internonce d’Autriche ; le vieux Chuschrew-Pacha, le plus haut personnage de l’empire, infirme, impotent, mais toujours fidèle à son poste et jaloux de certains privilèges qui n’appartiennent qu’à lui ; le grand-vizir Reschid-Pacha, élégant, spirituel, affable, représentant accompli de la culture européenne. Il décrit ensuite les magnificences du repas et les spectacles de toute espèce, danses, pantomimes, jongleries, tours