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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/156

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atrocités de Djeddah ? Qu’aurait-il dit hier encore des massacres de Damas et du Taurus cilicien ? Les premiers écrits du fragmentiste, plus décousus, plus incohérens, étaient bien autrement impartiaux. Il est triste de voir un tel maître s’attacher avec un entêtement sénile à un système renversé par les faits ; il est triste de voir une âme si libérale rester indifférente à des crimes qui ont fait bondir d’indignation le cœur d’Abd-el-Kader. Celui-là du moins connaît l’esprit de l’Orient ; l’accusation d’ignorance que Fallmerayer nous jette si lestement à la figure s’adresse-t-elle aussi au généreux émir ?

Chose étrange, cet esprit, obstinément fermé sur un point, demeurait ouvert à toutes les vérités, à toutes les lumières, à toutes les fécondes innovations de la science moderne. L’accueil injurieux fait par la vieille routine à ses grandes découvertes historiques contribua, j’en suis sûr, plus que tout autre motif, à produire l’entêtement bizarre dont je viens de parler. Ses vues sur l’Europe orientale du XIXe siècle lui parurent le corollaire de son Histoire de Trébizonde, de son Histoire de Morée, et de là toutes les erreurs opiniâtres du publiciste. La même cause, en revanche, entretint chez lui jusqu’au dernier jour l’enthousiasme de la grande critique, de la critique aventureuse et conquérante. Toujours en butte aux attaques de la science officielle, l’illustre vieillard devint le patron des novateurs. Quand M. Édouard-Maximilien Roeth prétendit retrouver en Égypte tous les fondemens de la philosophie des Hellènes, quand il suivit Thalès et Pythagore dans les sanctuaires de Memphis, quand il restitua ces grandes scènes avec un étonnant mélange de divination et de savoir, enfin quand il combattit si vivement et scandalisa si fort l’école d’Ottfried Müller, qui fut le premier sur la brèche pour le défendre ? Fallmerayer. Quand M. Julius Braun accomplit sur l’art athénien un travail d’exégèse assez semblable à celui des théologiens sur la Bible, quand il mit à nu les racines de cette floraison merveilleuse, quand il abaissa la barrière élevée par la vieille critique entre la Grèce et l’Asie, et qu’il replaça le génie hellénique au milieu du monde oriental d’où il sortait, qui protégea les doctrines, excessives peut-être, mais lumineuses et fécondes, du jeune savant ? Fallmerayer. Quand M. de Hammer-Purgstall faisait ses fouilles gigantesques dans les catacombes de l’Orient et que l’Allemagne semblait inattentive ou défiante, qui était son compagnon, son héraut d’armes ? qui le soutenait du cœur et de la voix ? Toujours Fallmerayer. Nulle œuvre hardie ne s’est produite sans qu’il ait poussé un cri de joie. Nuit et jour, il était à son poste sur la vigie de la libre science, jaloux de saluer le premier toute voile nouvelle à l’horizon. Chez l’écrivain le plus obscur, dans le livre le plus modeste, un détail, une idée neuve, une trouvaille inattendue attirait