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Tristes souvenirs, hélas ! le jour où le parlement est dispersé par la force, le grand poète et le grand critique, aussi scrupuleux l’un que l’autre dans leur patriotisme, sont poursuivis comme des ennemis de l’état.

Fallmerayer avait trouvé un refuge en Suisse ; l’année suivante (1850), il profita d’une espèce d’amnistie et put revenir à Munich. Fatigué de la lutte, il songeait encore à l’Orient. « Je veux, écrivait-il, achever mon pèlerinage terrestre en voyageur, en Bédouin vagabond ; je veux échanger les luttes, les soucis de la vie allemande contre la paix et le silence de l’Orient. Ce m’est une chose douloureuse sans doute, au déclin de mes jours, de ne pouvoir trouver ici de repos et d’être obligé d’affronter encore une fois les orages de l’Adriatique inhospitalière. » Il resta cependant ; l’âge, les infirmités, et surtout les sympathies de plus en plus nombreuses qui le vengeaient de ses ennemis, lui firent abandonner son projet. Il s’établit à Munich et reprit ardemment ses travaux. Préoccupé comme il était des destinées de l’Europe orientale, il aurait dû applaudir, ce semble, à la guerre de Crimée ; l’Angleterre et la France n’allaient-elles pas protéger l’empire ottoman contre ces Russes qu’il avait tant de fois dénoncés ? N’allait-on pas détruire cette forteresse de Sébastopol qu’il signalait depuis quinze ans comme une perpétuelle menace ? Oui, sans doute, c’était là une partie de son programme ; mais ce programme se modifiait avec les événemens. S’il redoutait l’influence moscovite, il se défiait aussi de l’intervention anglaise, et certes, à voir ce qui se passe aujourd’hui, nous ne sommes plus disposés à le contredire sur ce point. Son dernier mot était celui-ci : « Laissons l’Orient à lui-même. La politique occidentale n’a que faire dans un monde qu’elle connaît si peu ; elle y compromet ce qu’elle veut sauver. Ces médecins trop empressés sont suspects ; éloignez-les, et celui que vous appelez le malade vous prouvera qu’il peut vivre. » Pour appuyer sa thèse, il affirmait avec une vivacité croissante la supériorité des Turcs sur les Grecs. Il disait que les chrétiens d’Orient n’étaient chrétiens que de nom ; il ne voyait chez eux qu’un détritus de peuples, des races corrompues, intrigantes, sans foi ni loi, et il admirait la longanimité du grave musulman en face d’une telle canaille. Je ne sais quel défenseur de la Turquie ayant dit un jour que le sultan Abdul-Medjid était le plus chrétien des souverains de l’Europe, Fallmerayer citait ce jugement avec complaisance, pour le réfuter, il est vrai, mais pour le réfuter du bout des lèvres. Il était persuadé que la religion de Mahomet était une sorte de christianisme arien ; il insinuait enfin, sans l’écrire en toutes lettres, que les véritables chrétiens parmi les sujets de la Porte étaient les musulmans. Que pensait-il donc des lâches