Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du grand siècle, sans que rien malheureusement réponde à ce désir dans le monde qui entoure le voyageur. Ce n’est pas qu’on y répudie le passé : on l’honore au contraire, on le fête même à l’occasion ; mais chez personne il n’éveillera les regrets involontaires qu’éprouve le Parisien par exemple en voyant ses vieux quartiers céder la place aux boulevards même les plus splendides. En un mot, New-York est la ville du présent et non celle du passé. Les transformations y sont si rapides que la population, presque doublée dans les dix dernières années, ne voit plus aujourd’hui que Londres et Paris au-dessus d’elle. Il faut donc faire abstraction de nos idées européennes, si l’on veut étudier la société américaine dans la grande cité qui en est la plus haute expression. Les palais de New-York, ce sont les quais immenses où grandit et prospère un commerce inouï ; ses musées, ce sont les innombrables établissemens où se développe une industrie sans rivale pour la variété et la fécondité des ressources. Ses monumens enfin, où les trouver ailleurs que dans les institutions qui ont fait ce peuple ce qu’il est, et lui permettront de franchir heureusement, on doit l’espérer, la phase la plus critique de son histoire ? Il s’offre là un double spectacle : d’une part la société américaine prise en quelque sorte aux sources de sa vie morale et intellectuelle, observée dans les nombreux établissemens publics où se forment les jeunes générations ; — puis le libre exercice de cette vie même, dont mille détails, en apparence frivoles, révèlent à l’observateur attentif l’universelle et incessante activité.


I

De toutes les institutions d’un peuple, aucune n’exerce sur sa destinée une plus profonde influence que celles dont l’éducation est le but. En France, où de près comme de loin tout se rattache à l’initiative officielle du gouvernement, on peut dire que l’éducation est entre les mains de l’état, car aucun monopole n’est nécessaire pour que toute concurrence sérieuse disparaisse devant les ressources sans bornes dont il dispose. La Grande-Bretagne a suivi une voie différente, et en cela il faut reconnaitre qu’elle s’est montrée d’accord avec l’ensemble des doctrines qu’elle professe en matière de liberté. Chez elle, non-seulement l’éducation est libre, mais, sauf quelques rares spécialités d’enseignement supérieur, il semble que l’état apporté un soin particulier à éviter de faire sentir son intervention. De ces deux systèmes opposés, lequel devait choisir l’Américain ? Obéirait-il aux instincts de sa race eh suivant l’exemple de la mère-patrie, ou bien dévierait-il en cette circonstance de sa ligne de conduite, pour introduire exceptionnellement chez lui ce qui