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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/195

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large. À l’extrémité méridionale est la vieille cité, aux rues sinueuses, sombres et étroites, distribuées des deux côtés de Broadway comme les côtes d’un animal difforme dont cette voie célèbre serait l’épine dorsale. La nouvelle ville au contraire, quatre, ou cinq fois grande comme l’ancienne, offre l’aspect d’une de ces Salentes imaginaires à la description desquelles se complaisent les faiseurs d’utopies. Ce n’est, à proprement parler, qu’un échiquier d’éternels angles droits ; mais les douze avenues qui s’y prolongent dans le sens de la longueur sont larges comme nos boulevards, et les maisons qui les bordent ressemblent souvent à des palais. Là circulent incessamment sur des rails en fer, à une portée de pistolet d’intervalle, de vastes cars ou voitures pouvant contenir de cinquante à soixante personnes, et en contenant par le fait un nombre indéfini, car elles ne connaissent point le terrible mot complet, qui semble inséparable de nos omnibus en temps de pluie : nul n’est refusé ; à vous de voir s’il vous convient de rester debout. On s’est épargné tout frais d’imagination en numérotant simplement ces avenues, de même que les rues qui leur sont perpendiculaires, et l’on comprend qu’un point quelconque de la ville soit accessible de la sorte, sans qu’on ait à franchir à pied plus de la moitié de la courte distance qui sépare deux avenues voisines. Indépendamment de ces cars, une trentaine de lignes d’omnibus sillonnent la ville en tous sens. Aussi les voitures déplace n’existent elles en quelque sorte que pour mémoire à New-York, bien que l’on n’y économise pas moins tout à la fois et son temps et son argent.

L’économie est, en effet, l’une des qualités les plus développées chez l’Américain, et par ce mot l’on doit entendre l’emploi rationnel et intelligent des ressources dont il dispose. Il n’en est pas de meilleure preuve que ses chemins de fer. La question pour lui était vitale, car chez aucun peuple la vapeur n’a joué un aussi grand rôle, et sans elle les États-Unis ne seraient encore aujourd’hui qu’un littoral étroit adossé à des solitudes sans bornes. J’avoue n’avoir jamais pu me faire en France au rôle que les administrations de chemins de fer font jouer au voyageur. C’est lui qui semble être leur obligé, jamais il ne leur viendra à l’idée que ce sont elles au contraire qui sont au service du public, et l’on ne s’en aperçoit que trop au ton d’autorité des employés, qui ne serait que ridicule, s’il n’était parfois inconvenant. Chez nous, à partir du moment où l’on a montré son billet au cerbère de la salle d’attente, on n’a plus qu’à abdiquer la liberté de ses mouvemens, à se considérer comme parqué et séquestré du monde des vivans, heureux de n’être plus enfermé à double tour dans son wagon, comme on l’a été si longtemps. Aux États-Unis, le voyageur est considéré comme assez raisonnable