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pour prendre soin de lui-même sans l’intervention des employés. Une gare n’est qu’un lieu comme un autre, ouvert à tout venant et public, ainsi que l’étaient les cours de messageries. On ne relègue pas les gares à l’extrémité d’un faubourg, pour greffer sur le voyage une course parfois aussi longue que le voyage même, mais on les laisse s’établir au centre même de New-York. Le train part, attelé de cinq chevaux, traverse les rues les plus populeuses, et va chercher la locomotive qui l’attend plus loin[1]. Souvent même il parcourra les rues avec la locomotive elle-même, sans autre précaution que de ralentir son allure et de s’annoncer par une cloche d’avertissement. À plus forte raison, toute clôture est-elle inconnue dans les campagnes, et l’inutile population des gardes-barrières se trouve supprimée du même coup : on se borne à signaler les passages à niveau par un écriteau. Maintes fois, à la vérité, j’ai entendu les étrangers, les Français surtout, se récrier sur l’imprudence de ces trains lancés au milieu de la vie commune, côtoyés par les passans de tout âge et de tout sexe, et il serait fort à désirer qu’une bonne statistique des accidens vînt nous éclairer sur ce point. Tout ce que je puis dire, c’est que pendant un séjour de plusieurs mois je n’ai eu connaissance d’aucun malheur provenant de cette apparente absence de précautions, tandis que nul ne pourra nier la simplicité, l’économie et la commodité qui en résultent.

Les wagons américains ne diffèrent pas moins des nôtres que leurs chemins de fer. Si l’on est mieux assis dans les nôtres, ce n’est qu’à la condition d’y rester immobile à sa place, quelle que soit la longueur du parcours. Le voyage en hiver y devient un supplice ; à peine se peut-on tenir les pieds chauds. Aux États-Unis, chaque wagon renferme jusqu’à cinquante personnes libres de se promener dans une coursive pratiquée au centre ; en hiver, le wagon est comfortablement chauffé par un poêle, il a ses cabinets de toilette complets, sa fontaine glacée, car l’Américain court toujours après un verre d’eau, et le soir venu il devient une chambre à coucher où chacun a son matelas, sa couverture et son oreiller. Il suffit, pour cette transformation, de quelques planches à coulisses ; un rideau isole le compartiment des femmes. Le billet du voyageur est placé de manière que les contrôles se fassent sans le déranger, à moins qu’il ne soit parvenu à sa destination, et l’on se réveille le lendemain plus dispos incontestablement que si l’on avait passé la nuit entre Paris et Marseille. Sur ses chemins de fer, l’Américain

  1. Il suffit pour cela de rails placés dans ces rues, comme ceux dont nous venons de parler pour les cars des diverses avenues. On en peut voir de semblables à Paris sur la ligne d’omnibus qui va de la place Louis XV à Versailles, ligne baptisée d’ailleurs du nom de chemin de fer américain.