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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/214

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Mon père demanda à l’aïeul de prononcer les prières, ce que fit le vieillard avec une douceur résignée. Je ne me rappelle point ses paroles ; une image seulement m’est restée de tout ce discours funèbre, celle d’une fleur qui tombe parmi les gazons flétris, mais pour renaître plus tard, et renaître immortelle. Puis, à ma grande surprise, à mon grand effroi, le cercueil, reposant encore sur ses supports, fut placé au-dessus du grand trou ténébreux, et je vis, non sans une certaine curiosité, se dérouler ces paquets de cordes noires avec lesquelles, depuis, je n’ai fait, hélas ! que trop ample connaissance. Mon père prit celle qui soutenait la tête du cercueil ; tout à côté de celle-là, une autre, plus petite, avait été fixée par son ordre. Il me la mit dans la main ; je l’enroulai solidement autour de mes doigts, et j’attendis ce qui allait suivre. Les fossoyeurs, avec leurs vraies cordes, lâchèrent peu à peu le cercueil, et quand il fut tout au fond, mes yeux ne l’y pouvaient discerner, car on avait creusé beaucoup, afin, nous dit plus tard mon père, « qu’il y eût là place pour tous. » À ce moment, par un mouvement prompt et brusque, il laissa glisser la corde qu’il tenait encore. Les autres, à leur tour, l’imitèrent. C’en était assez, c’en était trop : — je comprenais maintenant, et, assurant mon pied sur la terre molle, je tirai à moi de toute ma force. Mon père eut quelque peine à ouvrir mes petits doigts ; il lâcha la cordelette noirâtre qu’ils avaient retenue jusqu’au bout, et je n’ai pas oublié l’angoisse avec laquelle je la vis retomber dans l’abîme obscur.


II

Mon père, jeune encore et nouvellement marié, prêchait un jour à Galashiels. Une commère interpellait sa voisine : — Que dites-vous, Jeanne, de ce garçon-là ? — Pur clinquant ! répliqua l’autre. — Après la mort de ma mère, il revint prêcher au même endroit, et Jeanne cette fois fut la première à courir vers sa voisine : — A présent, lui dit-elle, c’est de l’or véritable.

En effet, dans la manse, désormais silencieuse, où nos jeux mêmes, devenus moins bruyans, semblaient respecter le sommeil de la mère endormie à jamais, la famille avait un autre chef. Plus de ces soirées doucement égayées par le dernier roman de « l’auteur de Waverley » ou le dernier conte irlandais de miss Edgeworth ; plus de ces tournées en charrette où nous passions en revue nos bons voisins de Kilbucho, de Rachan-Mills ou de Kirklawhill, escortés par mon père sur son poney blanc, véritable thorough-bred. Le soleil pour nous était couché, le soleil de la jeunesse et des mutuelles amours. Nous voyions peu notre père, et la maison était comme sourde et muette, si ce n’est pourtant lorsqu’il répétait son sermon du dimanche