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vive et sereine, exprimant l’insouciance et la gaîtèé son jupon court, ses allures coquettes, ses yeux noirs, et entendre sa langue agile qui distribuait la raillerie à tout venant.

La petite en haillons descendit au fond de la « cité[1] » et se mit à gravir un escalier extérieur, Hugh ayant quelque peine à marcher de conserve avec elle. Arrivée dans le couloir, elle étendit la main et s’assura qu’il la suivait. Il prit dans sa main robuste cette main frêle et sentit que le pouce manquait. Comme les chats cependant, elle trouvait sa route dans les ténèbres ; elle ouvrit une porte, et disant : « La voici ! » disparut en un clin d’œil. À la lueur d’un feu mourant, il vit alors, gisante en un coin du vaste galetas vide, une sorte de paquet de vêtemens féminins, et, quand il eut fait quelques pas de plus, démêla sous ce monceau de hardes un visage maigre et pâle et deux yeux noirs, brillans et désespérés, qui étaient levés sur lui. Ces yeux étaient bien ceux de Mary Duff ; quant au reste des traits, ils étaient absolument méconnaissables. Elle pleurait en silence, le contemplant toujours. « Êtes-vous donc Mary Duff ? — Oui, Hugh, voilà tout ce qui reste de moi… » Puis elle voulut continuer, comme si elle avait quelque chose de très urgent à lui dire ; mais les forces lui manquèrent. Voyant qu’elle était fort mal et qu’elle allait par ses efforts aggraver encore son état, il laissa tomber une demi-couronne dans sa main fiévreuse : « Je reviendrai demain sans faute, » lui dit-il en la quittant. Aucun des voisins ne put ou ne voulut lui donner sur elle le moindre renseignement. Ceux qui ne dormaient pas étaient de mauvaise humeur.

Quand il revint le matin suivant, la petite fille l’attendait sur le palier. — Elle est morte ! lui dit cette enfant. — Il entra, et s’assura qu’elle disait vrai. Mary Duff gisait près du feu éteint. Sur son visage rasséréné, on retrouvait quelque chose de son ancienne physionomie. Hugh appela un voisin, et, déclarant qu’il se chargeait des funérailles, fit marché avec un undertaker. On paraissait fort peu renseigné sur le compte de la pauvre déshéritée. Tout au plus savait-on que c’était une « perdue, » ou, pour parler comme le roi Salomon, « une étrangère, » — de celles dont il dit qu’elles sont « une fosse profonde, un puits de détresse[2]. » — S’enivrait-elle ? demanda Hugh. — De temps à autre, lui fut-il répondu.

Le jour des funérailles, un ou deux des résidens de la « cité » l’accompagnèrent au cimetière de la Canongate. Il remarqua une petite vieille, d’aspect décent, qui, les suivant à distance, semblait s’intéresser à la cérémonie, et cela bien que la matinée fût pluvieuse et froide. La fosse remplie, et pendant que les hommes de peine

  1. Nous employons le seul mot qui puisse donner à nos lecteurs l’idée d’un close d’Édimbourg, un carré de bâtimens entourant une cour commune.
  2. Proverbes, XXIII, 27.