Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1754. On y a ajouté une petite ouverture que M. Gewaert a composée et instrumentée avec beaucoup de tact sur un motif d’une sonate de Domenico Scarlatti, contemporain de Pergolèse. Nous n’avons pas besoin d’insister de nouveau ici sur le mérite de ce premier échantillon de la musique bouffe italienne d’où est sorti le genre mixte de l’opéra-comique français. La filiation est patente, et les faits confirment le jugement de la critique. On le sait, c’est en 1752 que le signor Bambini, directeur d’une petite troupe de chanteurs italiens, vint à Paris et donna à l’Opéra une série de représentations qui excitèrent un grand intérêt et une bruyante polémique. Ils débutèrent le 2 août 1752 par la Serva padrona, qui fut traduite en français deux ans plus tard et représentée sur le théâtre de la Comédie-Italienne le 14 août 1754. Grimm, dans sa Correspondance, parle de cette traduction dans les termes suivans : « Un nommé Baurans vient d’exécuter un projet dont le succès n’a pas été et ne peut être contesté ; il a entrepris une traduction presque littérale de la Serva padrona en conservant la musique du sublime Pergolèse. Cet intermède est joué à la Comédie-Italienne, et tout Paris y court avec une espèce d’enthousiasme. »

La musique du petit chef-d’œuvre de Pergolèse mérite encore aujourd’hui une partie des éloges que lui donnèrent Rousseau, Grimm, Diderot, Laharpe et tous les esprits éclairés qui défendirent le charme et la vérité de la musique italienne contre les lourdes lamentations de Rameau et de ses imitateurs. Qu’on aille entendre à l’Opéra-Comique Zémire et Azor, précédé de la Servante maîtresse, ce qui forme un spectacle curieux et intéressant, et l’on sera frappé de l’analogie des procédés des deux maîtres, et s’il y a une différence à établir, elle est en faveur de Pergolèse, qui était un musicien d’une plus haute volée. Mme Galli-Marié, qui s’est produite pour la première fois à l’Opéra-Comique, est la fille de M. Marié, chanteur de l’Opéra et ancien élève de l’école de Choron. C’est du théâtre de Rouen que vient directement Mme Galli-Marié, qui est vive, accorte et agréable de sa personne. Sa voix est un mezzo-soprano d’un timbre gros et sonore, et dont la flexibilité pourrait être mieux dirigée et moins cahotante. Elle chante et joue avec esprit et bonne humeur, et ne laisse à désirer qu’un peu de distinction dans les manières, qui sont parfois trop lestes, car Pandolphe n’est pas un imbécile, et il faut le séduire avec plus de goût et moins de petites grimaces. Cette artiste, d’une physionomie souriante, qui ne jouait en province, assure-t-on, que des rôles sérieux, a été favorablement accueillie par le public de Paris. C’est M. Gourdin qui représente le vieux Pandolphe, à qui il ne donne pas non plus toute la dignité voulue. La voix de M. Gourdin est mordante, et s’il était moins pasquin, il produirait plus d’effet dans le beau récitatif et dans l’air en mi bémol qui précèdent le duo final, duo piquant et d’un accent juvénile : — Me seras-tu fidèle ? — J’engage fort les amateurs des choses vraies et délicates à ne pas laisser perdre l’occasion d’entendre la Servante maîtresse, un chef-d’œuvre de cent trente-deux ans, qui a fait l’éducation musicale de la France[1].

Non content de ces résurrections de vieux ouvrages qui n’ont fait peur à

  1. La petite partition de la Servante maîtresse, telle qu’on la représente à l’Opéra-Comique, a été publiée avec soin par la maison Girod. On y a ajouté une préface où sont consignés tous les renseignemens qu’on peut désirer sur les représentations successives de l’œuvre de Pergolèse. Voilà une bonne innovation que nous voudrions voir se propager dans le commerce de la musique.