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des beaux-esprits du jour, qui se croient bien plus forts que Pergolèse, Monsigny et Grétry. Heureusement M. le directeur de l’Opéra-Comique est un homme expérimenté qui ne s’en laisse pas accroire, et qui sait bien distinguer l’humeur d’un feuilletoniste éconduit de l’expression impartiale de la vraie critique. Après la charmante paysannerie de Rose et Colas de Monsigny, qui accompagnait les représentations brillantes de Lalla-Roukh de M. Félicien David, on a donné, dans le courant de l’été, la Servante maîtresse de Pergolèse, dont le succès a été plus vif encore que celui de Rose et Colas. Encouragé par l’approbation du public et fort peu ému des railleries des intéressés, M. le directeur de l’Opéra-Comique a remis en scène aussi, dans le mois de septembre, un ancien opéra de Grétry, Zémire et Azor. Ce conte bleu, rimé tant bien que mal par Marmontel et qui fut représenté pour la première fois à Fontainebleau, sur le théâtre de la cour, le 9 novembre 1771, n’a pas trop déplu aux contemporains de Scribe. La musique de Grétry, si vraie et si touchante, et dont plusieurs morceaux sont devenus populaires, a fait écouter avec patience une historiette naïve que, pour ma part, je ne trouve pas plus ennuyeuse que la légende de Lalla-Roukh. M. Warot, dans sa petite taille et avec sa petite voix de ténor parisien, chante avec goût la délicieuse romance : Du moment qu’on aime. Mlle Baretti, qui faisait partie de la troupe du Théâtre-Lyrique, a débuté par le rôle de Zémire, qu’elle joue avec grâce. L’ouvrage d’ailleurs est monté avec soin, et il n’y manque rien, pas même des ballerines.

On sait que Grétry, homme de génie, mais faible musicien, était imbu de l’idée que la musique dramatique devait exprimer non-seulement la vérité des sentimens et des caractères, ce qui n’a jamais fait un doute pour personne ; mais il prétendait aussi qu’elle devait suivre le sens logique du mot et devenir ainsi une sorte d’onomatopée de la parole. Si cette doctrine, qui fut celle des esprits ingénieux qui créèrent l’opéra à la fin du XVIe siècle et que Gluck ensuite a professée avec tant d’autorité et d’éclat, avait prévalu d’une manière absolue, elle aurait arrêté les immenses développemens que la musique a reçus depuis cinquante ans. Heureusement l’artiste de génie est inconséquent, et son inspiration, moins timide que la théorie qu’il s’est forgée, l’entraîne vers le beau, qui est le luxe et la splendeur du vrai. Si les arts ne reproduisaient que la nature, ils ne s’élèveraient pas au-dessus du sens commun, et la vie n’aurait alors ni poésie ni idéal. Ni Gluck ni Grétry, qui sont du même temps et qui ont suivi les mêmes idées, ne sont restés complètement fidèles au système qu’ils avaient embrassé, et c’est presque par les inconséquences et les hardiesses de leur génie qu’ils excitent encore aujourd’hui notre admiration. Nous l’avons dit, il y a dans Zémire et Azor, le second opéra de Grétry qui ait obtenu du succès, trois ou quatre morceaux qui n’ont rien perdu de leur charme : le duo entre le vieux Sander et son esclave Ali, le joli nocturne que chantent les filles de Sander, — Veillons, mes sœurs, — d’un caractère si doux et si pur, l’air d’Azor, — Ah ! quel tourment d’être sensible, — et le trio entre Sander et ses deux filles, — Ah ! laissez-moi la pleurer. — Tout cela est vrai de sentiment, et l’œuvre tout entière s’écoute avec intérêt.

Nous avons pu voir aussi tout récemment à l’Opéra-Comique la Servante maîtresse de Pergolèse, avec la traduction qu’en fit l’avocat Baurans en