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troupe, où l’on distingue Mmes Alboni et Penco, MM. Naudin, Gardoni, delle Sedie, Bartolini et Zucchini, était sous la main d’un maestro habile qui eût le droit de mettre chacun à sa place et de présider à l’exécution générale. Ce sont surtout les petits rôles que l’on trouve mal remplis au Théâtre-Italien, et confiés à des subalternes qui n’ont ni voix ni instruction. Or on ne se doute pas quelle est l’importance des parties secondaires dans un opéra moderne comme la Cenerentola, la Lucia, Otello, où le charmant duetto des deux femmes n’a jamais été bien chanté, grâce à la maladresse de la seconda donna qu’on donnait pour compagne à Desdemona, et M. le chef d’orchestre a-t-il le goût assez éclairé pour conduire l’exécution d’un opéra qui n’est pas de M. Verdi ? Il précipite tous les mouvemens et se donne une peine énorme pour gâter les chefs-d’œuvre dont il ne comprend pas le style. Nous verrons comment M. Bonnetti se tirera de la musique sereine et délicieuse de Cosi fan tutte de Mozart, dont on nous promet la représentation. On promet encore de nous faire entendre bientôt une nouvelle et célèbre cantatrice, Mlle Patti, qui depuis deux ans affole les Anglais. Tamberlick viendra ensuite clore la saison par quelques représentations brillantes. On le voit, la direction du Théâtre-Italien ne recule devant aucun effort pour réunir une bonne troupe et rendre son spectacle intéressant ; ce qui lui fait défaut, c’est l’art de bien employer les élémens dont elle dispose. Encore une fois, il manque au Théâtre-Italien un homme entendu, un maestro éclairé, qui connaisse à fond son art et qui ait assez d’autorité pour imposer son avis sur le choix des ouvrages, la répartition des rôles et l’esprit de l’exécution. Il ne faut pas qu’au Théâtre-Italien, ni ailleurs, un chanteur se permette de changer le mouvement et le style d’un morceau, pour se donner les airs d’avoir plus de goût et de sens que le compositeur. Pour quelques virtuoses d’élite, comme Mmes Alboni, Penco, ou M. Tamberlick, certains de plaire chacun isolément, c’est dans la bonne exécution des morceaux d’ensemble qu’est le grand intérêt d’un opéra moderne.

Enfin le Théâtre-Lyrique, qui a longtemps brillé au boulevard du Temple, vient de porter ses dieux pénates dans la nouvelle salle que la ville de Paris a fait construire place du Châtelet. C’est là que le nouveau directeur, M. Carvalho, a inauguré la saison, le 30 octobre, par un concert monstre où il a produit tout son personnel. Disons tout de suite que la salle est belle, richement ornée, grande, commode, d’un aspect riant et suffisamment sonore. Elle est éclairée par en haut, et la lumière, traversant un milieu opaque, tombe sur la tête des auditeurs d’une manière qui m’a paru plus ingénieuse que commode. Il y a là quelque chose à refaire, à tempérer cette clarté excessive qui répand dans la salle une chaleur insupportable et fatigue le système nerveux aux dépens de l’effet musical. Que M. le directeur du Théâtre-Lyrique soit bien persuadé de cette vérité de sens commun : deux effets d’une égale intensité se neutralisent, et trop de lumière nuit à la puissance du son. Du reste la soirée a été brillante, et Mme Carvalho surtout a été accueillie avec une extrême faveur.


P. SCUDO.


V. DE MARS.