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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/261

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ANTONIA

TROISIEME PARTIE. ’

Si Julien eût été un roué, il ne s’y fût pas mieux pris pour exciter la passion de M’"^ d’Estrelle. Les jours se succédaient, et aucun hasard n’amenait la moindre rencontre. Et pourtant Julie, soit par excès de confiance, soit par distraction, vivait beaucoup plus dans son jardin que dans son salon, et préférait la promenade solitaire dans les bosquets à la conversation de ses habitués. Il y avait des soirs où elle s’enfermait sous prétexte de malaise et de lassitude, et ces jours-là elle se faisait encore belle, comme si elle eût attendu quelque visite extraordinaire ; elle allait jusqu’au fond du jardin, rentrait effrayée au moindre bruit , puis retournait voir ce qui lui avait fait peur, et tombait dans une sorte de rêverie consternée en reconnaissant que tout était tranquille et qu’elle était bien seule.

Un jour elle reçut une déclaration d’amour assez bien tournée, sans signature et sans cachet particulier. Elle en fut fort offensée, jugeant que Julien manquait à tous les engagemens qu’il avait pris envers elle, et se disant que cela ne méritait qu’un froid dédain. Le lendemain, elle découvrit que cette tentative venait du frère d’une de ses amies, et son premier mouvement fut de la joie. Non, certes, Julien n’eût pas écrit dans ces termes-là ; Julien n’eût pas écrit du tout ! Le billet doux, que dans le trouble de l’incertitude elle avait trouvé assez délicat, lui parut du dernier mauvais goût ; elle le jeta aux oubliettes avec mépris... Mais si Julien eût écrit pourtant ! Sans doute il savait écrire comme il savait parler. Et pourquoi n’écrivait-il pas ?

(1) Voyez la Revue du 15 octobre et du l’" novembre.

TOME XLII. 15 NOVE^IBRE. 17