Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/333

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des palissades, sept rangées de petits piquets, deux larges fossés garnis de bambous pointus et remplis de trois pieds d’une eau vaseuse ; enfin une escarpe en hérisson, surmontée d’une rangée de chevaux de frise très solides. Les branchages épineux accumulés sur ce dernier obstacle étaient à dessein peu profondément fichés en terre ; les mains, en s’ensanglantant, ne pouvaient s’en servir pour l’escalade. La hauteur de l’escarpe au-dessous du fond du fossé était de quinze pieds environ ; les trous de loup étaient profonds de cinq pieds : tous étaient dissimulés par de légers clayonnages sur lesquels l’herbe avait été semée et avait poussé. Ils étaient intérieurement garnis de fers de lance ou de pieux très pointus.

C’est au milieu de ces obstacles, qui semblaient plus faits pour arrêter des bêtes féroces que des hommes, que les colonnes durent s’avancer. À mesure que les assaillans s’engageaient sur la crête étroite des trous de loup, cheminant avec circonspection et très lentement, le feu de la mousqueterie et de l’artillerie redoublait d’intensité. Un bruit sec de branches cassées se faisait entendre, et sur toute cette nappe, large de 150 mètres, les balles tombaient littéralement comme des noix qu’on gaule. Qu’on imagine, s’il est possible, les difficultés que durent vaincre les porteurs d’échelles, de grappins et de gaffes, tous ceux qui étaient embarrassés d’une carabine au milieu de tant d’embûches, quand il eût été difficile d’arriver sain et sauf, les mains libres. La plupart des porteurs d’échelles, cheminant plus lentement que les autres, tombèrent dans les trous de loup ou furent blessés. Leurs échelles servirent de passerelles. Elles étaient faites de bambou léger, et ne dépassaient pas un poids de trente livres. Elles furent brisées en quelques secondes sous les pieds de ceux qui s’en servirent. Trois cependant furent portées dans le dernier fossé ; mais devant l’escarpe la lutte prit un caractère d’acharnement unique sans doute dans les rencontres d’Annamites et d’Européens. Ceux qui parvinrent sur le sommet de l’obstacle, soit en montant sur les échelles, soit en s’aidant des épaules de leurs camarades et en saisissant les branches inférieures et solides des chevaux de frise, furent tués à bout portant, ou brûlés au visage, ou renversés à coups de lance. Celui qui parut le premier sur le rempart put voir, avant d’être renversé, un spectacle bien différent de celui qui avait frappé ses yeux en montant à l’assaut la veille : la banquette intérieure était garnie de défenseurs ; les uns servaient leurs fusils de rempart par les meurtrières ; les autres, armés de lances ou de fusils, guettaient les premiers assaillans.

En ce moment, qui devenait critique, l’ordre fut donné de lancer les grenades. On en lança vingt, et toutes heureusement, quoique le jet fût presque vertical et des plus dangereux. Trois marins abordeurs parvinrent à lancer leurs grappins, qui, s’accrochant solidement