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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/359

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main la plus vigoureuse n’aurait pu arrêter l’animal dans sa course désordonnée. Enfin, après une marche qui lui sembla avoir duré un siècle, Moudouri se trouva engagé dans un souterrain sombre et étroit au fond duquel les yeux flamboyans du tigre étincelaient comme deux charbons ardens. La voûte venant à s’abaisser de plus en plus, le chasseur heurta son front contre un bloc de pierre et fit une chute. Quand il se releva, il s’aperçut que son cheval s’était dérobé sous lui. un peu meurtri et les jambes embarrassées dans ses lourdes bottes fourrées, Moudouri fit encore quelques pas en avant. Une clarté plus vive que celle du soleil lui causa un tel éblouissement qu’il fut contraint de poser sa main sur ses yeux ; mais un éclat de rire strident et qui ne semblait pas sortir d’une bouche humaine le fit tressaillir. Il écarta la main qui voilait son regard : une vaste salle immense et profonde, tout ornée de stalactites étincelantes, illuminée dans toutes ses parties comme la grande place de Pékin le jour de la fête des Lanternes, s’ouvrait devant lui. Là siégeaient, assis dans une attitude grave et solennelle, tous les animaux qui hantent la Montagne de la Chaux. Au centre de cette assemblée, silencieuse comme si elle n’eût été composée que de fantômes, apparaissait le tigre, mollement étendu sur un tapis de lichen, la tête appuyée sur des faisceaux de branches de laurier.

Moudouri, muet de surprise et d’effroi, n’osait faire un mouvement ; il crut que sa dernière heure était venue et se rappela les paroles de la petite Meïké. Sa terreur fut au comble lorsque le tigre poussa un rugissement qui ébranla les parois et la voûte de la salle immense taillée dans le roc. Moudouri tomba à genoux, et le même éclat de rire qu’il avait entendu à son entrée dans la grotte frappa de nouveau ses oreilles. Puis résonna comme un écho sous les voûtes profondes le cri de saksakha ! saksakha ! qui fit courir un frisson de colère dans tous les membres du chasseur.

— Moudouri, dit alors le tigre en levant la patte avec autorité, assieds-toi sans façon, les jambes croisées. Tu dois être las, car je t’ai amené de loin… J’avais à te parler…

Le tigre se tut, et Moudouri le vit se rapetisser tout d’un coup en contractant son corps. La bête surnaturelle ne fut bientôt pas plus grosse qu’un petit chat qui vient de naître ; puis elle secoua sa peau rayée, comme si elle eût voulu se débarrasser d’un vêtement incommode, et se montra sous la forme d’un nain à peine aussi haut qu’une poupée. Le nain cependant s’allongea démesurément et prit les dimensions d’un géant dont la tête touchait les stalactites de la voûte ; mais ce prodigieux allongement du nain semblait n’être que l’effet d’un ressort qui se détend. Aussi, se rapetissant de nouveau pour s’agrandir encore, il finit par se restreindre, après une série de lentes oscillations, aux proportions d’un homme de moyenne stature.