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— Tu ne veux pas renoncer à la chasse ? demanda l’Esprit de la Montagne ; tu ne veux pas renoncer à tes plaisirs criminels ?

— Si je ne chasse plus, que ferai-je ? répliqua Mondouri.

— Ce que font tant d’honnêtes créatures humaines qui vivent au milieu de leurs semblables !

— Moi, je n’aime que la vie vagabonde, reprit de nouveau Moudouri ; ma joie, c’est de parcourir les bois, les montagnes et les vallées, mon arc à la main. Que voulez-vous, seigneur ? la chasse est tout ce que j’aime.

— Tâche d’aimer autre chose !…

— Mais quoi ?

— Jeune homme, tu n’es qu’un enfant !… Veux-tu renoncer à ta passion ? je te donnerai un talisman au moyen duquel tu pourras obtenir ce qui te plaira, ce qui fera l’objet de tes désirs les plus légitimes… Tu m’entends, Moudouri ? avec ce précieux talisman, tu pourras une fois, — une seule fois, — dans ta vie réaliser ton vœu. Sais-tu qu’il y a des empereurs qui donneraient la moitié de leurs états pour posséder le talisman que je te propose ?

— Ah ! reprit tristement Moudouri, jamais l’ambition n’a troublé mes rêves ; avec mon arc, je vis heureux, indépendant…

— Et inutile au reste des hommes, dont tu fuis la société, sans parler du mal que tu causes aux êtres animés, interrompit l’Esprit de la Montagne. Faire ce que l’on veut et faire ce que l’on doit sont deux choses.

— Je vis indépendant, vous ai-je dit, et cela me suffit ; ma vie se passe tranquille et paisible. Avec votre talisman, — qui ne peut me servir qu’une fois, — mon repos sera troublé pour toujours. Je n’oserai plus former un souhait dans la crainte de dépenser pour un désir frivole ce précieux trésor… Il y a tant d’aspirations passagères et vaines dans le cœur de l’homme !

— Sans doute, répliqua l’Esprit de la Montagne, le cœur humain est une fournaise où mille aspirations folles et téméraires sont tenues comme en ébullition ; mais crois-tu qu’il ne s’y rencontre pas quelquefois de ces désirs sérieux, désintéressés, qui sont une inspiration d’en haut ? C’est un de ceux-ci que tu pourras réaliser avec ce talisman… Tiens, Moudouri, suspends à ton cou cette petite pierre de jade finement sculptée qui représente une colombe les ailes déployées. Tant que tu ne formeras que des vœux sans consistance, cette pierre restera sur ta poitrine aussi fraîche que la rosée du printemps ; mais lorsque la réflexion ou un noble élan de ton cœur fera surgir au fond de ton âme un souhait généreux, la colombe de jade deviendra brûlante comme le feu ; puis, au moment où s’accomplira ton. désir, elle aura disparu pour toujours.