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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/362

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L’Esprit de la Montagne tendait au chasseur la précieuse amulette, et celui-ci allongeait la main pour la saisir.

— Pas si vite, dit l’esprit ; jette d’abord ton arc à mes pieds, ensuite je te donnerai le talisman.

Moudouri hésitait encore ; il lui semblait qu’il allait recevoir un morceau de plomb en échange d’un lingot d’or ; il répéta à demi-voix le proverbe tartare : Recevoir a son motif, perdre ne l’a pas.

— En vérité, chasseur, répliqua l’Esprit de la Montagne, on dirait que je te demande une grâce. Tu es chez moi, loin de la demeure des hommes. S’il me prenait fantaisie de te retenir dans cette grotte ? Les esprits sont parfois capricieux, tu le sais ! Si je te laisse aller, es-tu bien sûr de pouvoir sortir d’ici et de retrouver ta route ? Crois-moi, ne te fais pas tant prier. Il y a un proverbe qui dit : « Si quelqu’un te donne un bœuf, rends-lui un cheval. » Je te donne la vie, la liberté, et un inestimable joyau ; ne peux-tu m’accorder en échange cet arc qui m’est odieux ?

— Prenez-le donc, dit Moudouri en jetant son arc aux pieds de l’esprit.

À ce moment, les lumières qui éclairaient la grotte commencèrent à pâlir ; les stalactites, qui brillaient d’un éclat pareil à celui du lapis-lazuli, prirent une teinte terreuse ; peu à peu les animaux qui siégeaient autour de l’Esprit de la Montagne semblèrent se fondre comme la brume du matin aux rayons du soleil. L’esprit lui-même devint plus mince qu’une feuille de papier, plus transparent que le verre, et s’évanouit dans l’espace. Il se fit bientôt une obscurité profonde qui glaça d’épouvante le hardi chasseur. Pendant quelques instans, Moudouri resta immobile, sans oser faire un pas en avant : puis il se mit à tourner en tous sens, cherchant vainement à retrouver sa route pour sortir de la caverne. Ses mains crispées se collaient sur les parois humides et froides ; ses pieds heurtaient des pierres aiguës qui roulaient avec un bruit sinistre. À bout de forces, en proie à une terreur inexprimable, il s’affaissa sur lui-même en poussant un grand cri… Le sol s’était éboulé, le chasseur se sentait glisser sur une pente rapide comme le caillou qui s’échappe du sommet de la montagne. Lorsque son pied toucha le sol, la secousse qu’il éprouva fut si violente qu’il retomba sur le dos.

Moudouri se trouvait sur la terre gelée, étendu tout de son long à l’entrée de la grotte profonde où il avait passé la nuit. Son cheval, qui grattait la neige avec ses pieds pour trouver un peu de mousse, hennit en apercevant son maître.

— En vérité, se dit le chasseur, voilà qui est surprenant ! Comment suis-je ici ? Que s’est-il passé depuis que j’ai quitté l’entrée de cette grotte ? Je n’en sais plus rien !… Oh ! mais il fait un froid à