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vit à Bonneville des particuliers, des hommes de loi que leur profession éloignait des travaux de l’industrie, s’asseoir sur les bancs de l’atelier, manier le burin et la lime pour encourager la population agricole à suivre leur exemple. Trois ans de cette généreuse initiative ont fait remonter l’horlogerie du Faucigny au point de prospérité de la fin de l’empire ; en 1851, elle occupait 1,200 ouvriers, et introduisait plus d’un million de francs par année dans des communes pauvres et déshéritées sous le rapport agricole.

L’esprit savoyard a montré non moins d’initiative dans un domaine plus ardu encore que celui de l’agriculture et de l’industrie : nous voulons parler de l’instruction publique. Nous avons lu dans une pièce officielle que la Savoie avait beaucoup à gagner sous ce rapport à son annexion à la France. L’avantage annoncé ne s’est pas réalisé quant au nombre des établissemens d’instruction secondaire et classique, car l’annexion n’en a conservé que trois, un lycée et deux collèges communaux, sur les quatorze que possédaient les sept provinces de la Savoie[1]. Si l’on remonte à la fondation de ces nombreux collèges, ce n’est pas l’intervention et les fonds de l’état qu’on y trouve, mais les libéralités et les dons volontaires de quelque ami de l’instruction, et le plus souvent d’un Savoyard enrichi dans les pays étrangers. Ils étaient soutenus avant 1848 par des souscriptions, par des collectes d’argent et des dons en nature, quand ils ne pouvaient pas se soutenir eux-mêmes par les pensions des élèves. Chaque année, une collecte se faisait en automne dans le rayon de l’établissement. Ce trait rappelle les habitudes de la race anglo-saxonne et montre le caractère savoyard sous un côté intéressant. L’instruction classique a toujours joui en Savoie de la faveur exceptionnelle de l’opinion publique. Elle y avait atteint sous l’absolutisme un degré de développement qui contrastait singulièrement avec l’abaissement général du niveau de l’instruction première. Dans celle-ci, l’initiative individuelle s’est fait sentir aussi, mais à un degré bien inférieur.

Le gouvernement qui s’établit après la restauration des rois de Sardaigne a été justement qualifié d’obscurantiste. À ses yeux, les hommes qui s’occupaient d’instruction populaire étaient des révolutionnaires dangereux, soigneusement écartés des fonctions publiques, tracassés, par la police, privés des fonctions sacerdotales, s’ils étaient prêtres. On se souvient encore à Turin de cet abbé lombard, devenu plus tard sénateur du royaume, qui fut suspendu a divinis

  1. Sur ces quatorze établissemens, il y avait en 1858 un collège national à Chambéry, organisé sur une base aussi large et avec un programme aussi étendu que les lycées français du premier degré, huit collèges royaux et cinq communaux, fréquentés par 859 élèves internes et par autant d’élèves externes.