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au maître suprême, qui tient leur vie dans sa main. Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien disent-ils du fond du cœur en voyant toutes les peines que donne ce pain et tous les hasards qui le menacent. Puis, les premiers besoins satisfaits, l’esprit s’élève vers d’autres mystères, et le sentiment de l’immortalité s’éveille d’autant plus que le corps apaisé fait silence.

Nous voyons cependant une partie du clergé affecter un mépris insultant pour des études qui passionnent de nos jours beaucoup d’esprits droits, malentendu d’autant plus regrettable qu’il amène le mal dont on se plaint. Une sorte de rupture se fait entre les intérêts spirituels et les intérêts terrestres malgré les liens qui les unissent, et tous deux y perdent également. Combien les prêtres qui vont bénir les locomotives et présider aux comices agricoles comprennent mieux leur mission ! Ceux-là savent que la matière n’est pas moins que l’esprit l’œuvre du Créateur, et qu’il n’y a point de partage à faire entre ses dons. Ceux-là n’ont plus qu’un pas à faire pour étudier l’économie politique et pour lui apporter le secours de leur voix.

Ces sortes d’études ne seraient pas nouvelles pour le clergé en général et pour le clergé français en particulier. Même sans parler de ces temps du moyen âge où l’église gouvernait le monde, nous avons plus près de nous, dans les temps qui ont précédé immédiatement 1789, et dans le mouvement de 1789 lui-même, de grands exemples d’une alliance intime entre l’économie politique et la religion, Dans tous les diocèses de France, et particulièrement dans ceux des pays d’états, les évêques présidaient à l’administration. Toute l’organisation des états du Languedoc, qui a créé tant de modèles suivis encore aujourd’hui pour la perception des deniers publics, reposait sur les évêques. Lors de l’établissement des assemblées provinciales dans les généralités qui n’avaient pas d’états, ce furent presque partout les membres du clergé qui se trouvèrent les plus prêts à traiter à fond toutes les questions d’utilité publique. Il ne faut pas oublier que l’assemblée nationale de 1789 se composait pour un quart de députés du clergé, et que parmi les premiers chefs de la majorité réformiste figuraient les principaux prélats du royaume. C’est la révolution qui a interrompu ces traditions et obscurci ces souvenirs ; mais si l’état social qu’elle a institué ne laisse plus une si grande place au clergé dans l’ordre administratif et politique, elle n’a pas pu lui ôter son action sur les consciences.

Heureusement on voit depuis quelque temps des symptômes nouveaux qui semblent annoncer un retour de la part d’éloquens défenseurs de la foi. Dans le nombre, il faut citer au premier rang le père Gratry, qui a rendu plusieurs fois une éclatante justice à la