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allions les en extraire ? Pourquoi le bois a-t-il la propriété de flotter sur les eaux, le vent d’enfler les voiles, l’aiguille aimantée de se diriger vers le nord, la rame, la roue et l’hélice de fendre les flots, si ce n’est pour que nous franchissions à leur aide les vastes mers ? Pourquoi ces innombrables combinaisons entre les élémens que l’auteur des choses a préparées d’avance, tout en les cachant profondément, si ce n’est pour que la chimie les découvre et les adapte à nos arts ?

« Croissez, multipliez, remplissez la terre et la soumettez à votre domination. » Cet ordre suprême trace le programme de l’humanité. C’est pour lui obéir que tant de créatures humaines creusent avec effort depuis tant de siècles un sillon dont le terme est inconnu. Évidemment tout ce travail a un but. Quel est-il ? Nous l’ignorons. Nous savons seulement quelle tâche nous est assignée dans le plan surnaturel dont Dieu s’est réservé le secret. Ce souffle passager qui nous anime et qui s’éteint au moindre choc, nous devons le défendre et le préserver ; nous devons éloigner de nous autant que possible la misère et la maladie, qui brisent les forces et nous condamnent à l’inaction ; nous devons éviter l’oisiveté, cette maladie volontaire qui trouble l’ordre universel. Non contente de travailler pour elle-même, chaque génération qui passe doit préparer aux générations futures de nouveaux moyens de grandir. Nous devons accroître sans cesse la fertilité du sol, créer de nouveaux engins pour doubler la puissance du travail, bâtir, ourdir, défricher, façonner les métaux, subjuguer la terre, l’eau, l’air et le feu. Tant que cette planète offrira encore des recoins déserts, où se déploie dans toute sa puissance la nature sauvage, nous devons y pénétrer, lutter contre les agens de mort qui y règnent, et ouvrir au flot toujours croissant de la population humaine de nouvelles demeures. C’est Dieu qui le veut et qui l’a dit.

Il semble donc que la religion devrait bénir ces efforts et la science qui les dirige, d’autant plus que le soin légitime de nos intérêts terrestres n’a rien d’inconciliable avec nos devoirs religieux. Rien au contraire ne ramène plus à Dieu que l’aisance acquise par le travail ; l’extrême richesse et l’extrême pauvreté sont toutes deux mauvaises conseillères : c’est la richesse moyenne qui assure le mieux la pureté des mœurs et l’ardeur de la foi. Remercier et demander, voilà toute la prière. Quand le cultivateur a fini sa tâche, il invoque le Dieu qui fait mûrir les moissons et qui dispense à son gré la fécondité ; quand le marin brave les dangers de l’océan, quand le mineur descend dans les entrailles de la terre, quand le mécanicien déchaîne ces forces terribles qui peuvent le broyer en un moment, quand le pionnier s’enfonce dans des solitudes inconnues, ils se recommandent