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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/441

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Il est vrai que M. Périn, comme tous les détracteurs de Malthus, affecte de le présenter comme un ennemi de la population. Cette accusation n’est pas plus fondée que la première. Malthus ne présente nulle part la contrainte morale comme une règle, mais comme une exception que peut seule imposer la nécessité ; loin de voir avec déplaisir les progrès de la population, il y applaudit au contraire, à cette seule condition que le progrès des subsistances marche au moins aussi vite. Il ne repousse que cette multiplicité désordonnée de naissances que suit fatalement une effroyable mortalité, quand les conditions d’existence ne suffisent plus. Sous ses auspices s’est formée toute une science qui a pour objet de suivre pas à pas le mouvement des naissances, des mariages et des décès, et qui jette les plus vives lumières sur l’état matériel et moral des nations. Nous savons tous les jours de plus en plus quelles causes agissent pour développer ou ralentir la population ; nous apprenons à démêler les bonnes influences des mauvaises, les progrès apparens des progrès réels. Depuis la publication du livre de Malthus, la population a presque doublé dans plusieurs contrées de l’Europe, et en même temps la durée moyenne de la vie s’est fort accrue, résultat admirable dont il n’est pas l’unique auteur, mais qu’il a singulièrement favorisé en appelant l’attention sur ces problèmes[1].

C’est surtout quand il s’agit de la misère et de la charité qu’apparaît l’étroite solidarité de l’économie politique et de la religion. Il n’est pas de sujet plus chrétien que celui-là. La misère a des causes matérielles, comme l’insuffisance et surtout l’intermittence de la production. Elle a encore plus des causes morales. M. Périn n’a pas de peine à montrer que la plupart des maux qui assaillent les classes pauvres viennent de leurs vices. Un des plus terribles est l’ivrognerie, qui entraîne après lui tous les autres. Prêtres, économistes, administrateurs, tout le monde est d’accord pour signaler cette plaie sociale. Pour la combattre efficacement, il n’y a pas trop de tous les moyens à la fois. Que l’économie politique montre à l’ouvrier le mal qu’il se fait à lui-même en dissipant ses épargnes

  1. M. Périn rappelle à ce sujet ce que j’ai dit moi-même dans la Revue du dénombrement de 1856, qui a constaté un ralentissement marqué dans la marche de notre population. Il n’y a rien là de contradictoire. L’examen des faits montre que la prévoyance est entrée pour très peu dans cette décroissance ; ce sont moins les naissances qui ont diminué que les décès qui se sont accrus. Trois fléaux, l’épidémie, la disette et la guerre, qui appartiennent tous les trois à ce que Malthus appelle les obstacles répressifs, ont été les principales causes du mal, et je me suis permis d’en indiquer une quatrième, que Malthus appelle le vice et que j’ai appelée le luxe pour adoucir les termes. Tout cela est parfaitement étranger à la contrainte morale. J’ajouterai en passant que si ces tristes phénomènes se sont un peu adoucis dans la dernière période quinquennale, de 1856 à 1861, les caractères généraux ont persisté.