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la constitution de 1787, déclarant l’Union « fondée à perpétuité » et limitant les droits des états dans tous les cas où l’action collective de la nation était nécessaire. Et les confédérés eux-mêmes, tout en s’appuyant pour les besoins de leur cause sur le principe de la souveraineté absolue des états, n’ont-ils pas jugé à propos de former « un gouvernement fédéral permanent ? » et n’ont-ils pas accordé au congrès seul les véritables attributs de la souveraineté, c’est-à-dire le droit de percevoir les taxes, de faire des emprunts, de régler le commerce, de frapper monnaie, de déclarer la guerre, de lever des armées, d’établir et de maintenir une marine ? Enfin le président de la confédération du sud, Jefferson Davis, ne s’est-il pas déjà trouvé en conflit avec les législatures de plusieurs états au sujet du décret de conscription, et n’a-t-il pas cru bon de passer outre en invoquant la loi du salut public ? Ce sont là des faits qui prouvent que la théorie de la souveraineté absolue des états n’est pas même prise au sérieux par ceux qui l’emploient. En admettant toutefois qu’elle soit parfaitement constitutionnelle, la séparation ne peut être prononcée tant que la législature de chaque état n’a pas consulté le peuple entier ; mais on sait que dans presque tous les états les planteurs ont décrété la scission et commencé la guerre avant de faire ratifier leur vote par les électeurs. Il est donc dérisoire de s’appuyer sur le droit constitutionnel. Reste le droit d’insurrection, que peut invoquer chaque peuple dans ses crises décisives ; mais ce droit ne peut exister qu’à la condition d’avoir une cause juste pour sanction suprême. Dans les états confédérés, cette cause, c’est l’esclavage !

Après la question de droit vient la question de fait. M. Spence n’est pas moins affirmatif en prophétisant le triomphe final des confédérés qu’en établissant la bonté de leur cause. Trop hâtif dans ses assertions, démenties par le cours des événemens, il déclare absurde l’idée de conquérir les rives du Mississipi, il consacre plusieurs pages éloquentes à prouver que la Nouvelle-Orléans est complètement imprenable ; il transforme les soldats confédérés, d’ailleurs si braves, en héros invincibles. L’avenir dira quelle est la valeur de ces prophéties ; mais l’auteur anglais, admettant déjà comme indiscutable la victoire définitive des hommes du sud, engage débonnairement les états libres à prendre leur parti de la défaite. Puis, afin de donner plus de poids à ses paroles, il a recours à la flatterie, et dans sa conclusion générale il termine par un élogieux panégyrique de ce que serait l’Union future, enfin séparée des états à esclaves et prolongeant d’une mer à l’autre mer la puissante association de ses communautés libres. Dans ce panégyrique, il se laisse emporter un instant par son argumentation, et prononce par mégarde une vérité qui d’un coup rend tout son livre inutile et nous dispense de le réfuter plus longtemps. « L’esclavage, dit-il, était là pour arrêter tout élan d’une légitime fierté ; des millions d’esclaves dans la nation entravaient toute aspiration nationale, le nom même de l’Union était un mot vide de sens, l’esclavage était la désunion, le désaccord par excellence. » Ce naïf aveu nous suffit, et il reste prouvé que la servitude des noirs est la véritable