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et qui devint l’expression de ce besoin d’unité, rendu évident par le malheur et les humiliations. Le morcellement du grand empire, l’égoïsme des petits princes avaient en effet seuls rendu la conquête aussi facile que mortifiante, et il était naturel d’entrevoir l’unification de la patrie à travers une guerre où la défaite de l’oppresseur devait aussi amener celle de ses vassaux de l’autre côté du Rhin. Le désir parut si légitime, la conséquence si inévitable, qu’avec une bonhomie vraiment tudesque on ne stipula rien à l’heure où il fallut répondre à l’appel qu’adressèrent les souverains de l’Allemagne à leurs peuples pour une délivrance commune. Rarement nation montra pareil dévouement, pareille confiance ingénue ; il est vrai aussi que rarement princes et gouvernans furent plus prodigues de promesses solennelles et de paroles enchanteresses. « Le tyran seul, affirmaient-ils, était l’obstacle au bonheur général; lui disparu, rien n’empêchera l’Allemagne de renaître à une vie de liberté et de grandeur. »

Hélas! personne ne l’ignore, ces promesses furent bien vite oubliées, et, selon un mot bien connu en Allemagne, « le Bellérophon engloutit plus d’une chimère. » Une fois délivrés du joug de Napoléon, les souverains de l’Allemagne ne pensèrent plus qu’à l’affermissement de leur pouvoir absolu, et les amis de la veille devinrent les ennemis du lendemain. Le changement fut aussi subit qu’effronté, et à la confiance débonnaire des peuples répondit une déception cruelle. Ce ne sont pas certes les patriotes allemands de 1813 que l’on peut accuser, comme les afrancesados espagnols, d’avoir jamais sympathisé avec les idées françaises ou pactisé avec l’esprit subversif. La haine de la France a été au contraire le mobile de leur élan, l’âme même de leur vie. Ils étaient loyaux, ne demandaient qu’à être des sujets fidèles, et, loin de se laisser aller au souffle voltairien, ils obéissaient à un esprit religieux plein de mystiques ardeurs et de généreuses illusions. Sans doute il y avait dans leurs rangs des exaltés, dont le teutonisme prenait parfois des allures un peu bizarres et archaïques : ils abusaient des noms d’Arminius et de Barberousse, et semblaient subir une déraisonnable nostalgie des forêts de la Germanie de Tacite ; ils portaient des cheveux trop longs, des redingotes trop courtes, des bonnets trop petits, et voulaient absolument redevenir Chérusques. Ces exaltés néanmoins, ces « mangeurs de glands, » comme devait les appeler plus tard la Jeune Allemagne avaient l’âme aussi honnête que l’esprit conciliant; ils étaient aussi inoffensifs que parfaitement ridicules. Quoi de plus naturel, au reste, que de pareilles excentricités d’un patriotisme surexcité et rétrospectif? Tout récemment, et en France, des esprits honnêtes, mais gaulois à l’excès, ne se sont-ils pas avisés de recommander le culte druidique? Les slavo-