émancipées, c’est-à-dire disposant elles-mêmes de leurs biens, réglant elles-mêmes leur affaires de routes, d’école, de voirie urbaine, de police locale. Or toutes ces choses, très voisines de la souveraineté, ne se prêtent guère aux limites d’action et d’influence où il vous plairait de parquer ces pouvoirs. Croyez-le bien, quand vous aurez fait tout cela pour eux, leur gratitude, leur bon plaisir sera de gouverner le pays. Le jour où vous aurez dans chaque localité des bourgeois souverains, vous y aurez des électeurs politiques à mandat impératif,... et Dieu sait ce qu’ils commanderont! Cette conclusion vous semble peut-être un peu brusque. Soit, arrêtons-nous à considérer posément où nous en sommes; on verra mieux par là où nous irions avec des communes émancipées : une perspective, une aventure dont rien n’approche dans les choses connues et expérimentées.
Il y a des nations réputées libres qui se gouvernent elles-mêmes par l’organe d’une élite présumée, d’un pays légal, comme nous disions il y a vingt ans. Telles sont l’Angleterre, la Belgique, la Hollande, l’Espagne, l’Italie, la Prusse, la Bavière, le Wurtemberg, l’Autriche même et la Grèce. Tout autre est la France. Le droit politique y est considéré comme un droit naturel : c’est le patrimoine de tout Français venant au monde. Mâle et majeur, vous êtes souverain. Voilà le suffrage universel.
Il y a des pays où l’on rencontre des localités se gouvernant elles-mêmes, et pour ainsi dire souveraines à cette fin; mais, il importe de le remarquer, cela ne se rencontre qu’à l’état d’exception. Ce n’est pas là l’ordinaire, le fond des choses, même des choses locales. Ainsi vous comptez en Angleterre cent quatre-vingt-neuf communes seulement, avec une population de deux millions d’âmes seulement. Tout autre est la France. La commune y est partout, aussi bien dans un village de cinquante feux qu’à Marseille et à Bordeaux. Petite ou grande, toute localité est un être qui a ses droits, son pouvoir, sa fortune, son gouvernement.
Ainsi, parmi nous, le droit politique et le droit municipal sont universels. Tout homme, tout lieu a son droit, et un droit égal. Seulement voici la nuance qui tempère ces hardiesses : le droit local est imparfait, soumis à des obligations de faire ou de ne pas faire que lui impose l’état. Quant au droit politique, il est inexpérimenté, inconscient de lui-même et de ses forces, un Hercule au berceau. Il y a sans doute quelque inconvénient à cet état de choses, que vous traitez peut-être d’illusion et de vaine apparence; mais il y aurait quelque péril à le changer en vérité. Si vous y touchez du côté des communes, si le droit local d’imparfait devient souverain, attendez-vous à cette nouveauté que le suffrage universel acquerra la conscience de lui-même et prendra au vif la puissance qui sommeille