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palais, nos rues, nos vaisseaux, nos armes; mais voici quelque chose qui est l’abrégé ou plutôt le comble de toutes ces merveilles. Nous avons conçu, pour remplir et pour charmer les premières heures de la nuit, l’idée de nous mettre nous-mêmes sur la scène et de nous donner à nous-mêmes en spectacle, avec nos grandeurs et nos misères, nos nobles passions et nos faiblesses. Non-seulement il se trouve parmi nous des mortels doués du don divin d’observer et de peindre les momens les plus piquans de notre vie et les parties les plus attachantes de notre caractère, mais cette habitude ingénieuse de se dédoubler et de se regarder vivre est tellement répandue que ce qu’un seul a ainsi décrit, tous le sentent, le comprennent et le jugent. Ah ! si nous pouvions vous faire entrer dans le détail de ces merveilles, vous faire pénétrer dans l’âme de ces personnages, dont la langue même vous échappe, vous faire compter et peser les idées, les impressions si variées, si compliquées, si délicates qu’une longue civilisation a déposées et accumulées dans leur âme; si l’on pouvait vous faire entendre tout ce qu’ils représentent de lents progrès et d’efforts successifs vers l’élévation des pensées, la finesse des sentimens et la politesse de la vie sociale, vous seriez plus confondus que devant l’étalage terrible ou brillant de toutes nos autres créations, et vous sentiriez que, pendant ces deux courtes heures, tout ce que nous avons conquis sur la nature, tout ce que nous avons reçu du temps, tout ce que nous avons imaginé pour ennoblir et charmer notre existence ici-bas a passé sous vos yeux.

Et pourtant, dans l’œuvre dramatique la plus admirable, représentée par les interprètes les plus habiles, que de taches, que de lacunes, que d’accidens, comme pour nous donner l’idée d’un spectacle plus parfait encore, où la grandeur, le charme du sujet, la beauté achevée de l’exécution, l’art accompli des acteurs, et même l’heureux concours des circonstances extérieures avec l’état de notre âme, ne nous laisseraient plus rien à désirer! Analysez, de grâce, dans votre mémoire la représentation de quelque chef-d’œuvre qui vous ait laissé l’impression la plus forte ou la plus douce, une de ces soirées par exemple où Mlle Rachel faisait revivre Hermione, ou Roxane, ou Chimène, et vous retrouverez trop aisément, à côté de votre émotion encore vivante, le souvenir des mille et une piqûres qui ont contrarié et diminué ce grand plaisir. Parfois le poète lui-même n’est pas exempt de tout blâme, il a langui pendant quelques instans, il s’est brusquement abaissé pendant quelques autres; le grand artiste, à son tour, n’a pu éviter plus d’une fois de s’égarer ou de faiblir. Que dire enfin de ceux qui l’entouraient comme pour enchaîner son essor et retenir en même temps votre âme près de se livrer tout entière? Il suffit de parcourir l’ingénieux poème didactique qu’un écrivain compétent vient de publier sur