l’art théâtral, et les conseils trop nécessaires qu’il donne à ceux qui le pratiquent, pour sentir par quelles fautes et en combien de façons la représentation du plus bel ouvrage peut en altérer les beautés au point d’en flétrir tout le charme. En glissant sur cette énumération, hélas! trop exacte, de tous les défauts qu’un acteur imparfait peut nous offrir, qui lira ce seul vers, si concis et si juste :
Vulgaire le matin, on l’est encor le soir,
sans revoir tout d’un coup, et sans les maudire, ces rois si peu dignes de la couronne, ces grands seigneurs si mal élevés, ces amoureux si incapables de plaire, qui ont trop souvent détruit, au moment même où nous allions y céder, les plus nobles ou les plus
agréables illusions de la scène? Nous ne pouvons donc concevoir
ce que le théâtre pourrait nous donner de plaisir qu’en laissant notre imagination nous transporter d’un coup d’aile dans quelque séjour enchanté où la scène, l’œuvre du poète, les acteurs et les dispositions de notre âme se confondraient dans une merveilleuse
harmonie pour produire en nous une impression délicieuse et parfaite, exempte de trouble, inaccessible à la critique, qu’aucun regret ne viendrait effleurer, qu’aucune réflexion même ne viendrait
affaiblir. Qu’on n’ait plus à sentir dans cette fête imaginaire même
le pli d’une feuille de rose. Que l’œuvre du poète soit sublime, et
pourtant humaine; que ses interprètes soient moins des acteurs que
les personnages eux-mêmes, animés de leurs vraies passions, laissant couler leurs larmes involontaires ou ne pouvant réprimer leur
sourire. Que celui qui doit être aimé soit en effet aimable, et que
celle qui le trouble soit belle en effet, et digne de le troubler. Si elle
doit être coquette, que la coquetterie soit en réalité tout son cœur et
tout son être, et si elle doit aimer malgré elle, qu’un feu vrai la dévore. Enfin que la scène où paraîtrait ainsi devant nous, non point
une vaine image de la vie, mais la vie même, ne soit pas au fond
d’une salle immense, encombrée d’une foule indifférente, mais dans
quelque lieu charmant, discrètement peuplé de visages émus, où
les regards intelligens pourraient se croiser avec les regards, où le
plaisir d’autrui serait un plaisir de plus, où le même mot, le même
geste, agiteraient d’un seul battement tous les cœurs. Voilà le théâtre
tel qu’on peut le rêver, tel qu’il serait, si quelque pouvoir magique
le dégageait de toutes les imperfections inévitables en ce monde.
Imparfait comme il doit l’être, il peut encore nous ravir, et ce sont
des temps heureux entre tous que ceux où paraît un poète capable
d’animer la scène par des conceptions nouvelles, d’y introduire des
personnages vivans, de les conduire enfin, à travers une action
émouvante, vers un dénoûment naturel, bien qu’imprévu. Ce bonheur est-il réservé au temps où nous sommes? Notre génération, si