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De quel ton foudroyant pourrait-on répéter le jeu de mots de saint Augustin, dont Tassonance rappelle une cloche d’église : Habent mercedem suam, vani vanam !

Il règne encore tant de mystères sur cet incident naissant de la question d’Orient et sur la politique des cabinets intéressés dans l’élection d’un nouveau roi des Grecs, que nous n’osons pas parler trop sérieusement des perspectives qu’ouvrirait l’élévation d’un prince anglais sur le trône hellénique. Un fait seul jusqu’à cette heure est apparent et acquis à la polémique, c’est l’unanimité extraordinaire qui se produit en Grèce autour de la candidature du jeune fils de la reine Victoria. Si imprévu et si piquant qu’il soit, ce fait doit d’abord être expliqué en se plaçant au point de vue des Grecs eux-mêmes. La révolution grecque, commencée par une surprise, un roi qui perd sa place en allant à la promenade, se continue par une autre surprise, le peuple grec se donnant le mot pour offrir la couronne à un prince anglais. Décidément cette révolution est amusante. Notre temps a été témoin de singuliers traits d’instinct et d’intelligence politique de la part de certaines nations. Il y a des momens où l’on dirait que tout un peuple a de l’esprit comme un seul homme. C’est ce que l’Italie nous a fait voir dans ses bons jours, lorsque les mots d’ordre lui venaient du subtil et hardi génie de M. de Cavour. Nous ne savons de qui les Grecs reçoivent la consigne ; mais nous nous croyons obligés d’avouer que, dans la manœuvre qu’ils exécutent envers l’Angleterre, les Grecs se montrent fort spirituels. Quand la nouvelle de leur révolution nous arriva, on entendit chez nous je ne sais quels vagues murmures qui prophétisaient un prochain échec à la politique anglaise en Orient. Les esprits brumeux, les hommes à système voyaient là une occasion d’accouchement pour l’alliance franco-russe, dont on disait à voix basse toute sorte de choses étranges. Pour ces songeurs, la France doit être le centre et le moteur d’une fédération des nations latines, comme la Russie est le foyer dominant du monde gréco-slave. L’empire français aspire au panlatinisme, comme l’empire russe au panslavisme, et les deux empires se doivent assistance mutuelle dans l’assouvissement de leur appétit pantagruélique ! Quelle bonne fortune pour ceux dont l’imagination vit dans le monde des géans et se gonfle en nuages que la petite révolution de Grèce ! Il y avait là un friand morceau pour le panslavisme, et l’espoir d’un équivalent en retour pour le panlatinisme. Un prince qui tînt à la famille des Romanof n’était-il pas le seul roi que les Grecs eussent jamais pu désirer ? L’affaire était siire, et déjà nos officieux de France patronnaient avec confiance la candidature du duc de Leuchtenberg en se flattant d’accommoder les arrangemens de 1832 avec les exigences supérieures du droit nouveau et le sacrement du suffrage universel. L’Angleterre, peu à peu éconduite de l’Orient par le panslavisme et le panlatinisme, serait de plus en plus condamnée pour ses péchés au patronage exclusif des circoncis : elle serait turque jusqu’à l’absurde, jusqu’à l’odieux, jusqu’au désespoir, jusqu’à l’impénitence et à la ruine finale.