Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/795

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seau une fille, les cheveux en désordre, les yeux hagards, qui lançait sur l’eau des coquilles de noix en se répétant à elle-même d’une voix tour à tour gaie ou plaintive : « Il reviendra, il ne reviendra pas ! » Des gens de l’endroit m’apprirent qu’elle avait été l’amante (sweetheart) d’un aventurier qui était parti depuis assez longtemps pour les champs d’or et qui lui avait promis de l’épouser ; ne recevant plus de ses nouvelles, la malheureuse était devenue folle. Les femmes ne seraient pourtant point de trop dans la nouvelle colonie ; il faut en effet savoir que les Colombiens se trouvent à peu près dans la même situation que les Romains avant l’enlèvement des Sabines. On devine que le sexe faible y est par conséquent en grande demande, pour me servir de l’expression anglaise. L’évêque de l’île Vancouver, frappé de cet inconvénient, s’est entendu avec une association établie à Londres pour faciliter les conditions du passage à un certain nombre de jeunes filles intelligentes et honnêtes. Il y en avait sur le Tynemouth soixante-deux ; l’une est morte en route, les autres sont arrivées saines et sauves dans la colonie, où elles ont trouvé immédiatement à se placer comme domestiques ou comme gouvernantes en attendant des fortunes meilleures. Quant à celles qui nourrissent des idées de mariage, elles voient affluer les candidats, et n’ont vraiment plus que l’embarras d’un bon choix[1].

Les hommes, parmi lesquels se glissaient bien çà et Là quelques chétifs enfans des grandes villes, formaient en général un corps de vigoureux et intrépides aventuriers ; mais, arrivés dans la colonie, ils ne donnent plus une impression aussi favorable à ceux qui les comparent aux anciens mineurs accourus de San-Francisco. Les vêtemens des premiers sont trop neufs, leurs membres trop blancs, et ils apportent avec eux trop de bagages, tandis que les seconds se distinguent par des traits bronzés, des habits usés qui rendent témoignage de longs services rendus, et par un air de confiance en soi-même qu’ils ont acquis dans la lutte obstinée avec la terre. Entre les uns et les autres, il y a cette différence qu’on remarque entre de nouvelles recrues et de vieux troupiers qui ont reçu dans les îles lointaines le baptême du soleil et de la brise. Arrivés à Victoria, les chercheurs d’or sont encore très loin du lieu de leur destination ; les riches terrains qu’il s’agit de fouiller se trouvent à cinq cents milles de la mer. Pour les atteindre, les hardis mineurs doivent

  1. Ces associations pour fournir des femmes aux colonies anglaises prennent chaque jour de nouveaux développemens. Une des difficultés était de les placer durant le passage sous la sauvegarde d’une personne instruite et considérée. Miss Rye, une Anglaise de grand cœur et de noble dévouement, partait il y a quelques semaines de Londres sur un vaisseau, emmenant avec elle cent émigrantes pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande.