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les obstacles, elle éprouve les forces et ne cède qu’aux volontés héroïques. L’état aurait bien pu, il est vrai, prêter la main à ceux qui étaient tout à fait sans ressources ; mais le gouvernement anglais, tout en voyant d’un œil favorable se détacher les essaims qui encombrent la ruche sociale, s’abstient en général de protéger directement l’émigration. Cette réserve se comprend surtout en ce qui regarde British-Columbia ; les champs d’or se montrent souvent trompeurs après un certain temps, et l’autorité britannique ne veut point que les émigrans lui reprochent un jour d’avoir encouragé des illusions funestes.

Il y a d’ailleurs beaucoup d’Anglais que les frais de passage n’arrêtent point. J’accompagnais au mois de mai 1862 dans les docks de Londres, où il devait s’embarquer, un ancien gold digger qui avait fait ses premières armes dans les campagnes de la Californie et de l’Australie, ces deux grandes épopées de l’or au XIXe siècle. Comme il avait beaucoup vu, il aimait à raconter, et c’est à lui que je dois plusieurs renseignemens sur la vie des mineurs. Cet homme était attiré en sens contraire par deux passions très fortes, le mal de l’or et le mal du pays. Il en résultait une situation flottante : quand il était sur le théâtre des fouilles, il regrettait l’Angleterre, et quand il était en Angleterre, il regrettait les champs lointains d’où s’échappe la richesse. Cette humeur inquiète est, avec une disposition errante, un trait de caractère qui distingue d’ailleurs en général les chercheurs d’or. Les gypsies, ces vagabonds qui ne s’attachent à rien, se sont quelquefois arrêtés çà et là aux lieux où la rumeur publique signalait la présence du métal convoité. Le travail d’une mine d’or est une loterie : de là sans doute la sombre attraction qu’il exerce sur le cœur de l’homme. À cette loterie, le vieux mineur que j’accompagnais dans les docks n’avait point été heureux jusque-là ; pourtant il ne se montrait point du tout découragé et espérait bien un jour ou l’autre gagner le gros lot. Le steamer qui allait partir pour Victoria, et qui portait le nom de Tynemouth, était un magnifique navire à hélice et en fer ; il contenait environ trois cent soixante passagers, parmi lesquels un tiers au moins allait chercher fortune avec la bêche dans la Colombie britannique. La plupart des futurs mineurs occupaient cette partie du navire connue sous le nom de steerage, près du logement des matelots. À quelques exceptions près, ils n’emmenaient point de femmes avec eux, mais un assez grand nombre de jeunes filles les avaient suivis jusqu’au vaisseau. Il y eut là des adieux murmurés à voix basse, tandis que les hommes promettaient sans doute à leurs bien-aimées des montagnes d’or quand ils reviendraient des mines. Ces départs pour la Colombie et les autres Eldorados ont d’ailleurs fait plus d’une victime. Traversant, il y a deux années, l’Yorkshire, je rencontrai près d’un ruis-