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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/849

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IV.

Depuis quelques jours, la ville de Routchouk se remplissait de paysans des campagnes environnantes. Des villages entiers avaient voulu assister à la grande procession que ramène chaque mois de mai. Les femmes avaient leurs belles jupes de couleur chocolat, bordées de larges dessins blancs; de grosses épingles argentées étaient plantées dans leurs cheveux ; elles allaient par groupes bruyans, riant et causant des objets qu’elles achèteraient à la ville. Les hommes marchaient derrière, les jambes enlacées de bandelettes de cuir jaune, la tête couverte du calpac en peau de mouton. Ces laboureurs au visage bronzé, aux larges épaules, avaient l’air timide et effrayé; il semblait qu’ils s’appliquassent à marcher inaperçus et à ne pas éveiller l’attention de leurs maîtres les Turcs, de peur qu’il ne prît à ceux-ci fantaisie de les dépouiller du peu qu’ils pouvaient avoir. Cette foule remplissait les rues du quartier habité par les Grecs et se portait principalement du côté de l’église.

L’église, très basse et fort simple, cachée par un groupe de maisons, est entourée d’une grande cour circulaire qui communique avec la rue par une allée. Un puits public se trouve sur un des côtés de l’édifice. Pendant toute la journée qui précéda la fête religieuse, la cour servit de lieu de campement à un grand nombre de paysans. Les uns dînaient avec les provisions apportées de leur hameau, pain noir, fèves bouillies, gâteaux faits de miel et de graisse de mouton; d’autres dormaient pour ménager leurs forces et se préparer à suivre la procession toute la nuit. Dans un coin, des jeunes filles tournaient en rond et à petits pas autour d’un musicien qui jouait de la flûte; ailleurs des jeunes gens, d’une voix animée par les libations d’un jour de fête, chantaient une litanie. Les habitans de la ville se mêlaient à ceux de la campagne.

Quand la nuit fut arrivée, le son d’un marteau frappant à coups redoublés sur une pièce de bois appela les fidèles. C’est par le marteau, on le sait, que les popes ont remplacé les cloches, interdites par les Turcs. Chacun alors prit un cierge dans sa main et l’alluma. La foule entra dans l’église, trop petite pour la contenir, et se pressa contre les portes. L’église se remplit d’une épaisse fumée à travers laquelle brillaient d’une lueur rougeâtre les innombrables cierges des fidèles. Eusèbe monta dans la chaire, et, tout en célébrant les louanges de la Panagia à propos de sa fête traditionnelle, il prépara les esprits aux événemens qui allaient se passer. — La Panagia, disait-il, est connue pour les miracles qu’elle a toujours faits. Vous savez, hommes bulgares, que si elle veut qu’une chose noire de-