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ter Kyriaki évanouie. Ils se dirigèrent ainsi vers la maison du pope. En y arrivant, ils la trouvèrent toute dévastée; les pillards avaient passé par là.

Pendant ces derniers incidens, Eumer-Bey parcourait la ville et parvenait à arrêter le désordre. Il avait réuni autour de lui quelques bachi-bozouks moins avides que les autres, et il marchait avec eux, criant qu’au lieu de saccager les maisons, il fallait aller combattre les ennemis, qui étaient aux portes de la ville; il enjoignait aux pillards de se réunir sur une petite place qui est vers la porte de Choumla. Un certain nombre d’entre eux, cédant à son autorité, allèrent avec leurs chevaux au rendez-vous indiqué. Ils entassaient leur butin autour de leurs selles ou le confiaient en dépôt à des musulmans de la ville. On vit alors des patrouilles de troupes régulières qui forcèrent les derniers bachi-bozouks à quitter la place, et s’occupèrent d’éteindre le feu des maisons qui brûlaient. Les cris cessèrent; les rues, tout à l’heure éclairées par les torches et les incendies, rentrèrent peu à peu dans la nuit. La ville, si tumultueuse pendant plusieurs heures, finit par ne plus produire qu’un bruissement vague, comme un malade, après une crise violente, s’apaise en poussant de sourds gémissemens.

Deux cents cavaliers environ s’étaient rendus à l’appel d’Eumer; les autres avaient déjà quitté la ville ou s’étaient dispersés au gré de leur fantaisie. Ce ne fut pas sans peine qu’on fit monter cette petite troupe à cheval : les chevaux et les hommes étaient lourds de butin. Cependant une heure avant le crépuscule Eumer put sortir de Routchouk à la tête de cette cavalerie et rejoindre ses deux bataillons, restés immobiles dans l’endroit où il les avait laissés. Le jour commença enfin à poindre. Eumer-Bey et le colonel Fotzer purent se rendre compte de leur position. L’officier turc était dans une situation périlleuse. Entre lui et le rivage, il avait un corps de deux mille hommes, bien supérieur au sien. Du côté opposé, il apercevait l’autre détachement russe, revenu de son expédition et prêt à le prendre à revers. S’il essayait de se retirer sous la protection des canons de la ville, il courait risque d’être attaqué des deux côtés pendant ce mouvement, et il laissait l’ennemi se rembarquer sans obstacle. Il prit sans hésiter un parti contraire, et, déployant son infanterie devant les troupes de Fotzer, il résolut de charger l’autre détachement avec ses deux cents cavaliers; mais cela n’était point du goût des bachi-bozouks. Quand il leur commanda de marcher en avant, ils hésitèrent; des murmures coururent dans la troupe; enfin l’un d’eux déclara qu’ils n’avaient point encore fait leurs ablutions, et que Mahomet défendait qu’on chargeât l’ennemi dans cet état d’impureté. Tous crièrent alors qu’il fallait retourner à Routchouk pour faire les ablutions. Eumer, désespéra, se voyait