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des compatriotes, et force fut d’accepter une hospitalité qu’on ne nous permit de reconnaître que par des remercîmens. Le maître d’école demandait les livres français dont nous pourrions disposer pour les besoins de ses élèves. Une de leurs premières préoccupations, en apprenant que des bâtimens de guerre du vieux pays se trouvaient à Halifax, fut de savoir si ces navires avaient un prêtre, et s’il voudrait venir prêcher en français chez eux. En effet, par une regrettable anomalie qui est plutôt le fait des circonstances que d’aucun mauvais vouloir, le curé chargé de desservir cette modeste paroisse est le plus souvent un Irlandais, qui s’y considère comme en exil et qui ne sait pas un mot de notre langue. Il serait à désirer que le voisinage pût amener à Halifax quelque membre de l’excellent clergé français du Canada[1], comme déjà d’ailleurs on en voit sur quelques autres points de la Nouvelle-Ecosse, notamment à Arichat. Celui qui accepterait l’humble apostolat de Chezzetcook en serait largement récompensé par la reconnaissance de son troupeau.

Ces Acadiens si visiblement protégés du ciel, même aux phases les plus cruelles de leur histoire, quel avenir leur est réservé maintenant que l’horizon s’est rasséréné pour eux? Nous ne leur souhaitons pas de rentrer sous la domination de la France, ils n’y trouveraient assurément rien qui valût l’heureux régime dont jouissent actuellement les colonies anglaises; mais, tout en restant soumis aux lois de la Grande-Bretagne, ils peuvent et doivent s’appliquer à conserver leur originalité nationale. C’est en elle qu’ils ont trouvé leur salut dans l’adversité, ils y puiseront leur force aujourd’hui. Quel intérêt d’ailleurs aurait l’Angleterre à les absorber? N’a-t-elle pas l’exemple du Canada, où un groupe compacte et indestructible de plus d’un million de Français forme la meilleure barrière que le pays puisse opposer à l’ambition américaine? Il est un rêve que caresse avec amour l’habitant de la Nouvelle-Ecosse, celui de la réunion en une confédération unique des diverses colonies anglaises de l’Amérique du Nord. Puisse ce rêve se réaliser et rattacher par un lien nouveau les Acadiens aux Canadiens! Ce serait pour l’élément français de ces pays le meilleur gage de l’influence que lui permet de revendiquer son importance numérique.

  1. M. Rameau n’a trouvé que quatre prêtres acadiens français : MM. Girouard, curé de l’île-Madame; Boudrot, à l’île Madeleine; Poirié, dans l’île du Prince-Edouard, et Babineau, à Bouctouche (Nouveau-Brunswick). Ces quatre noms, dit-il, appartiennent aux familles primitives de 1671.