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d’une sorte de danse ou balancement alternatif sur une jambe et sur l’autre ; lorsque le ministre veut terminer l’exercice, il frappe dans ses mains : tout s’arrête. Alors vient le sermon. « On vous accuse d’être bruyans dans vos plaisirs, dans vos conversations même ! » s’écriait un de leurs prédicateurs. L’assemblée poussait un long gémissement. « Mais combien ne serez-vous pas plus bruyans encore quand luira pour vos frères du sud le grand jour de l’émancipation ! » Et le chœur répondait par un hurrah discordant. Cette population noire vit généralement à part, et son progrès social a été peu marqué jusqu’ici ; non qu’aucun ostracisme, aucune proscription sociale soient venus l’entraver comme aux États-Unis, mais peut-être ces enfans d’une race déshéritée n’ont-ils pas trouvé chez les maîtres du pays toute la sympathie qui semble nécessaire à leur développement. Leur travail néanmoins suffit à les faire vivre, et c’est beaucoup dans ce climat si différent de celui que la Providence leur avait destiné ; c’est même un phénomène exceptionnel qui mériterait de fixer l’attention des Anglais plus qu’il ne l’a encore fait.

Parmi les sectes qui se disputent l’influence religieuse dans la société anglo-américaine, une des plus excentriques à coup sûr est celle qui place le monde à la veille de sa fin[1]. J’entendis à Halifax un prédicateur de cette secte donner une série de conférences où la théorie du millennium fut exposée dans son plus entier développement avec un talent que l’on ne pouvait voir sans regret au service d’une pareille cause. Avant d’entrer dans les détails du cataclysme, il commença par reprendre une h. une les diverses prophéties de l’Écriture, afin de bien indiquer comment toutes s’accordaient à signaler l’année 1864 comme le début de la grande tribulation finale, et 1867 ou 68 comme l’ère du millennium. Il trouvait d’abord au seizième verset du quatrième chapitre de Daniel une première période de sept temps laquelle, en représentant chaque temps par 380 années (interprétation fréquente, mais dont j’ignore l’origine, et que je ne me charge pas de justifier), donnait un laps de 2,520 ans. C’est précisément l’intervalle qui sépare 1868 de la date à laquelle les Juifs perdirent leur indépendance sous Manassé, 652 ans avant Jésus-Christ. — Venait ensuite une deuxième période de 2,300 ans, prédite au quatorzième verset du huitième chapitre de Daniel, laquelle s’ouvrait avec la restauration du culte à Jérusalem, sous Néhémie. Or le décret donné à cet effet par Artaxerce est de 446 ans avant Jésus-Christ ; la reconstruction du temple dura treize ans, et il est certain que si l’on retranche 433 de 2,300, on

  1. Voyez, sur la croyance au millennium la Revue du 1er novembre 1862.